Ce qui se joue à l'accueil
Naître, c'est « venir au
monde. »
Le bébé humain est accueilli dans
le monde du langage bien avant sa naissance. Lorsque des parents amènent leur
enfant pour la première fois dans un lieu de collectivité, ils l’introduisent
dans le monde social. Cela les renvoie à leurs propres expériences de
séparations, peut-être d'entrée à la crèche ou à l'école, ou de deuils.
C’est là que tout se complique : Lorsque nous
recevons un parent, nous n’avons pas seulement affaire à un adulte, mais à un
sujet à part entière, avec son histoire d’enfant, de bébé, tellement bien
enfouie, qu’elle ne demande qu’à ressurgir à la première occasion. On ne croit
pas si bien dire lorsque l’on parle de « structure d’accueil petite
enfance » , il faudrait simplement mettre au pluriel « petites
enfances » car, en tant que professionnel, nous accueillons la petite
enfance de chacun : celle de l’enfant, celle de chaque parent, mais
également la nôtre.
Séparation rime avec abandon
Un parent commence par se confier avant de confier son
enfant. Les diverses expériences d’accueil montrent que la séparation n'est
possible que si le père ou la mère a pu parler de sa propre difficulté à se
séparer, quelque soit le temps de l’adaptation.
Une mère m'est adressée parce que son fils pleure tous les
matins, elle ne peut s'en séparer. "Il a peur que je l'abandonne"
dit-elle. Lorsque je lui demande pourquoi cette peur, elle s'effondre en larmes
et me raconte un souvenir d'enfance : "Un jour je me suis trouvée seule à
l'arrêt du car, personne n'est venu me chercher, je ne comprends pas
pourquoi." Ce sentiment d'abandon est intact malgré les années passées.
Accueil rime avec deuil
"C'est ma première enfant vivante."
"C'est quand je suis devenue mère que mon père m'a
manqué. Il est décédé quand j'avais 8 ans."
"J'ai fait une dépression après le suicide de ma
meilleure amie / de ma cousine... J'ai arrêté le traitement quand je suis
tombée enceinte."
"Il / elle est comme son oncle / son cousin qui est
mort."
"Ma mère est morte quand j'étais enceinte."
Nombreux sont les parents qui évoquent un deuil lors des
entretiens, un deuil dont ils n'avaient parfois jamais parlé.
Ils témoignent souvent que l'arrivée de l'enfant ravive le
manque d'un parent, ou efface le deuil provisoirement... le temps de la
grossesse. Nous voyons comment l'enfant peut se trouver dans un rôle
d'antidépresseur, ou de remplacer un mort. Pour trouver sa place, il va devoir
rivaliser avec ce qui occupe le plus l'attention de la mère : la mort d'un
autre. C'est ainsi que certains enfants ne nous paraissent pas très
"vivants."
D'autres à l'inverse vont se montrer très agités, avec des
troubles du sommeil car ils n'ont de cesse de montrer à leurs parents qu'ils
sont là, bien vivants.
Au moment de se séparer de l'enfant, tout cela ressurgit
d'un coup et par surprise.
Ce qui rassure et met en confiance les parents et
l’enfant, c’est l’acceptation de la singularité de leur histoire et de ce
qu’ils vivent à ce moment-là.
Quels sont les enjeux de la relation parent -
enfant- professionnel ?
Les enjeux sont multiples et mobilisent divers sentiments.
Selon la situation, la professionnelle aura différentes
impressions personnelles : trouver que l’enfant est trop collant, qu’il
exagère de ne pas vouloir laisser partir sa mère ou son père… ou que le père ou
la mère est trop dur(e) de partir en laissant pleurer son enfant, ou qu’il/elle
le dépose comme un paquet, ou qu’il/elle le laisse trop longtemps…
La rivalité est un mot qui ne fait plaisir à personne,
pourtant elle est bien réelle et humaine et nous y sommes tous confrontés,
qu’on le veuille ou non. Cette situation réveille en chaque sujet des questions
gênantes :
« Va-t-(il ou elle) me trouver suffisamment bonne
pour me laisser son enfant ?
Va-t-elle bien s’occuper de mon bébé ? mais elle s’y
attachait trop ? Mon enfant ne
va-t-il pas finir par préférer celle qui s’occupe de lui toute la journée à
moi ? Que va-t-elle lui apporter de mieux que moi ? Qui suis-je, que
suis-je pour cet enfant ? » et donc : « Qui
suis-je ? » …
La liste est infinie, ces questions seraient trop longues
à développer ici, mais nous voyons qu’elles sont très déstabilisantes pour
chacun. Tous ces enjeux sont plus ou moins conscients.
Un parent souhaite que l’on s’occupe bien de son enfant,
mais n’est pas mécontent de trouver quelques petites failles chez les
professionnels afin de se rassurer de n’être pas parfait.
Les professionnelles passent parfois plus de temps avec
les enfants que leurs parents, il est donc difficile de s'investir dans leur
éducation sans s'interposer dans l'éducation que les parents donnent à leur
enfant, qui parfois ne correspond pas à l'idée que nous nous en faisons.
L’enfant est pris dans cette ambivalence et les
manifestations de son chagrin peuvent rassurer le parent sur l’attachement de
son enfant, et/ou l’angoisser davantage.
Tous ces enjeux mettent les professionnelles et les
parents à l’épreuve de leurs propres doutes concernant leurs compétences.
Comment se faire entendre des parents? D'abord
écouter
Dans tous les cas, le travail auprès du parent vise à ce
qu'il se sente accueilli là où il en est, avec ses difficultés, sa souffrance
et ses contradictions, et non avec une référence à un savoir sur comment il
faut faire avec son enfant.
Ecouter ne veut pas dire donner ce que l’autre attend, ne
veut pas dire rassurer à tout prix. C'est être attentif aux mots qu'utilise le
parent pour parler de son enfant. C'est pouvoir laisser exprimer une inquiétude
sans trop rassurer, laisser se questionner le sujet sur ce qui l'inquiète :
souvent cette inquiétude est fondée. C'est aussi savoir ne pas comprendre,
questionner les parents lorsqu'ils font des sous-entendus, ou disent des choses
qui leur paraissent évidentes.
Lorsqu'elle parle avec un parent, la professionnelle
reçoit beaucoup d’émotions. Elle peut alors avoir en tête que tout cela peut se
déposer dans l’après-coup, avec les collègues et lors de réunions. L’équipe et
la parole interviennent comme un tiers dans la relation parent- enfant-
professionnelle.
Il n'est pas simple de faire entendre des choses aux
parents sur l'état de leur enfant, (physique ou psychologique), les adresser à
une consultation, que ce soit vers un ORL ou un psychiatre.
Toute question, qui peut nous paraître banale peut réactiver
les angoisses des parents. Entend-il bien? N'a-t-elle pas une allergie? Sans
parler de l'agressivité.
"On m'a dit que ma fille mordait à la crèche. Après
coup, je me suis effondrée en larmes, je me suis dit que j'avais fait quelque
chose qu'il ne fallait pas."
Cette maman résume bien ce qu'un parent peut ressentir :
Les parents ne demandent qu'à culpabiliser, n'importe quelle remarque sur leur
enfant peut les "remuer" à un point qu'on est loin d'imaginer. Pour
s'en défendre, ils adoptent une attitude souriante, indifférente, fuyante,
fermée, agressive ou arrogante... chacun à sa manière.
Pour autant, il ne s'agit pas de ne rien leur dire.
Une maman que j'ai rencontrée en entretien m'a parlé de sa
fille de façon très pertinente, très consciente des difficultés de sa fille, et
aussi très inquiète et très en difficulté elle-même. Elle a demandé un
rendez-vous au CMP aussitôt après l'entretien.
Cela faisait plus d'un an que j'entendais parler de cette
mère très fuyante, qui n'entendait rien, qui amenait sa fille en pointillés...
le travail des professionnelles a porté ses fruits malgré leur impression de
n'arriver à rien, de ne pas être entendues.
Tout d'abord, leur accueil patient et prudent a permis à
cette maman de confier de plus en plus régulièrement sa fille alors qu'elle
était tentée d'arrêter de venir. Ensuite, il y a le temps du déni, qui va et
vient selon les moments. La prise de conscience est d'autant plus longue
qu'elle est douloureuse. Mais les paroles adressées à cette mère ont petit à
petit été entendues, malgré l'impression qu'elle donnait de ne rien vouloir
savoir. Au final, il apparaît que cette mère se comportait avec les
professionnelles comme sa fille avec elle : elle ne se sent pas entendue par sa
fille.
Accueillir c’est d’abord écouter, observer. Cela permet de
répondre aux parents, sans pour autant leur donner entière satisfaction.
L’important est qu’ils se sentent écoutés, entendus dans leurs désirs, même si
on n'y répond pas favorablement. Entendus dans leurs angoisses même s'ils ne les
disent pas, même si on ne peut pas tout écouter, répondre à tout.
C'est la trame de base qui permet ensuite de parler aux
parents, leur faire entendre ce que l'on veut leur dire.
Qui permet à l'enfant de se sentir accueilli comme sujet
appartenant à sa famille.