dimanche 24 novembre 2013

Quels rôle pour les grands-parents aujourd'hui?

Il y a ceux qui sont loin, ceux qui sont trop là, ceux qui ont disparu avant nous, ceux que nous avons peu connu, ceux que l'on ne connaît pas, ceux qui nous font rêver, ceux qui nous adorent, ceux dont on n'entend jamais parler, ceux qui sont devenus une légende...

Nous avons chacun une référence de ce que sont ou ont été nos grands-parents pour nous. Enfants, adolescents, jeunes adultes, jeunes parents, grand-parents puis arrières grand-parents... nous nous inscrivons dans une succession de générations, qui parfois se chevauchent et l'état de grand-père ou grand-mère peut durer la moitié de la vie.

Quels grands-parents aujourd'hui ?
Mamie-gâteau ou mamie-zumba?
Papi vélo ou papi webcam?
Grands-parents-nounous, à temps plein ou en intérim?...


À l'heure où la notion de famille s'élargit dans notre société, au regard des grands-parents d'hier, c'est à dire depuis environ trois générations, l'art d'être grand-parent se décline différemment, avec une nouvelle façon de vivre après 60 ans.
Les clichés sont nombreux et l'évolution de la vie dans notre société est rapide : En 2050, plus de la moitié de la population aura l'âge d'être grands-parents.

Comment les rôles des grands-parents s'accordent ou pas aux attentes des parents?
Certains grands-parents entendent bien profiter de leur vie une fois que leurs enfants ont quitté le nid, alors que les jeunes parents aimeraient compter sur eux pour un soutien au quotidien....
et les petits enfants dans tout ça? Les grands-parents se chargent-ils ou se déchargent-ils de leur éducation? Jusqu'à quel point? Quelle autre place trouvent-ils?
Que veulent-ils transmettre ? Que transmettent-ils réellement ?

J'ai recueilli quelques témoignages autour de moi, riches en émotions, que je vais tenter de vous distiller au fil de la soirée.
Nous allons voir comment chacun trouve sa place, sa position dans une famille qui s'agrandit, parfois se sépare, et s'ouvre sur de nouvelles générations.


Les grands-parents chiffrés

    L'INSEE a eu la bonne idée de publier le mois dernier une étude sur les grands-parents. Je ne peux m'empêcher de vous livrer une de leurs trouvailles : plus on a d'enfants, plus on a de probabilités d'avoir des petits-enfants! Je me moque un peu car je garde un regard critique sur les études chiffrées : d'une part, celle-ci ne parle que de la France métropolitaine, d'autre part, connaître l'âge moyen où l'on devient grand-père (56 ans en France, 58 ans en Aquitaine) ou grand-mère (54 ans) ne vous dira pas quel est votre rôle dans votre famille ni dans votre histoire. J'ai quand-même relevé quelques éléments qui peuvent nous intéresser :
"En 2011, 8,9 millions de grands-mères et 6,2 millions de grands-pères, soit 15,1 millions de grands-parents vivent en France métropolitaine"[...] "soit 2,5 millions de plus qu’en 1999."
Cette augmentation s’explique surtout par celle du nombre de personnes en âge d’être grand-parent. En effet, le baby-boom d'après guerre s’est transformé en papy-boom, avec une mortalité plus faible que les précédentes. Cela devrait se poursuivre car les plus jeunes générations du baby-boom sont aujourd’hui quadragénaires.
En France, on devient grand-parent plus tard qu'auparavant, et il y a aussi un plus grand écart entre l'âge où l'on est parents et celui où l'on devient grand-parent, étant donné que les jeunes parents ont leurs premiers enfants plus tard. ("... pour plusieurs raisons : la généralisation des études, et notamment des études supérieures pour les femmes, la place croissante des femmes sur le marché du travail et leur souci d’avoir un travail stable avant de fonder une famille, de même que la volonté de vivre un certain temps à deux.")

Autrement dit, malgré le jeunisme ambiant (l'image de la vieillesse est repoussée bien au-delà des frontières de la grand-parentalité) les grands-parents sont plus âgés qu'auparavant.
"Du point de vue des petits-enfants :Il est plus fréquent de connaître ses grand-mères que ses grands-pères, celles-ci vivant plus longtemps et étant en moyenne plus jeunes que leur conjoint. À leur naissance en 2010, 19 % des enfants avaient déjà perdu leur grand-père paternel.
Au niveau régional : 850 000 Aquitains sont grands-parents : Un Aquitain sur quatre : 483 000 grands-mères et 344 000 grands-pères.
Les femmes sont plus souvent grands-mères et avec plus de petits-enfants que les hommes.
Les grands-parents qui comptent

Être grand-père ou grand-mère, c'est un rôle que l'on peut désirer, mais que l'on ne choisit pas. Certains se languissent de voir enfin arriver des petits-enfants dans la famille, d'autres s'en seraient passés. Aujourd'hui, on choisit à peu près d'avoir des enfants, pas d'avoir des petits-enfants.

Le rôle de grand-parent évolue avec l'âge de chacun et avec la situation familiale et professionnelle de l'aïeul. Grand-parent ne veut pas dire retraité. Être grand-parent ne se décline pas de la même façon entre 40 et 90 ans et plus... avec des bébés, des jeunes enfants, des adolescents ou jeunes adultes... on n'est pas grand-parent de la même façon selon qu'on vit en couple, avec encore des enfants à élever, ou que l'on vit seul, selon que l'on est loin ou près de ses petits-enfants.

On ne peut pas isoler ce rôle de grand-parent de celui de parent, de parent d'adulte.

"La présence n'est pas essentiellement physique, elle se trouve au fond du cœur..." dit MC Noah.
On invoque souvent que les familles sont maintenant éclatées et éloignées, et que le rôle des grands-parents se perd. De jeunes parents se trouvent loin de toute famille et amis, ils ont à se construire un tissu social en même temps qu'ils doivent procurer affection et sentiment de sécurité à leurs bébés ou jeunes enfants. On dit beaucoup que ces jeunes parents manquent du conseil et de l'expérience de leurs aînés. Pourtant les choses ne me paraissent pas si évidentes.
Le concept de "soutien à la parentalité", les lieux d’accueil enfants-parents se sont développés ces dix dernières années en partie pour répondre à ces nouveaux besoins. Il me semble qu'ils offrent bien autre chose et que le rôle des grands-parents est toujours bien là, avec les nouvelles modalités de communication.

Les conseils aux jeunes parents n'ont jamais été aussi nombreux et aussi faciles d'accès avec internet au point que les parents ne savent pas lequel suivre. Cela ne remplace pas la relation de ces jeunes parents avec leurs propres parents car dans la relation entre les générations, il y a une dimension de transmission de l'histoire familiale. Ce n'est pas un savoir-faire qui se transmet, mais comment ma mère, alors jeune femme, s'est débrouillée dans le contexte où elle vivait, dans le contexte où je suis né... comment mon père, alors jeune homme a découvert son rôle de père... c'est une expérience singulière à chacun. C'est la question du désir des parents : attendu ou pas attendu, accueilli ou pas, comment, quel bébé, quel enfant ai-je été pour mes parents? À quelle place suis-je venu me loger dans leur désir?

Devenir grand-mère ou grand-père, c'est voir son enfant changer de statut : passer de celui d'enfant à celui de parent. La période de l'adolescence ayant parfois mis le chaos dans tout ça, se retrouver grand-parent oblige à réviser sa position vis-à-vis de son propre enfant.
C'est ainsi que les relations avec ses enfants devenus adultes sont imprégnées des conflits avec eux lorsqu'ils étaient enfants, et notamment le complexe d’œdipe, dont tout le monde a entendu parler. En effet, ce qui se joue lors de ce complexe est de l'ordre de la place de chacun dans les générations et dans les lits, si je puis dire. Très schématiquement, on parle de rivalité entre le fils et son père à propos de l'amour de la mère et de sa place auprès d'elle, avec l'équivalent dans la rivalité entre la fille et la mère. Prendre la place du père ou de la mère c'est se situer à une autre génération que la sienne.

Freud, qui a découvert et défini ce complexe à partir du mythe d’œdipe, nous a révélé que la petite fille désirait inconsciemment un bébé du père, parfois à l'occasion de la naissance d'un puîné. Qui n'a pas vu une petite fille se mettre une poupée ou un coussin sous la robe et déclarer qu'elle a un bébé dans le ventre?
Ces fantasmes inconscients ne sont pas éliminés par magie lorsque les enfants grandissent. Le complexe d’œdipe ne se liquide pas totalement et se réveille comme un volcan à l'adolescence (où les relations prennent plutôt la forme d'un rejet), ainsi que dans certaines situations comme la naissance d'un enfant. Il n'est pas rare de voir se réveiller des conflits parent / enfant qui avaient pu s'apaiser à certaines périodes, qui peuvent se traduire en conflits entre beaux-parents et gendres ou brus.
Toujours est-il que la naissance d'un bébé, le fait qu'une fille devienne mère ou qu'un fils devienne père réalise en quelque sorte les fantasmes et rivalités inconscients qui étaient en sommeil.
Les parents sont délogés de leur génération pour atteindre celle des grands-parents.

Comme son nom l'indique, le complexe n'est pas simple. Ce que l'on peut en retenir, c'est que Freud définit les complexes comme des facteurs essentiellement inconscients qui ont un rôle organisateur dans la vie psychique. C'est un conflit interne au sujet entre des tendances opposées. Son dépassement permet la construction du sujet et aboutit sur un autre complexe. Il en existe plusieurs au cours de la vie, à commencer par le complexe du sevrage qui nous intéressera tout à l'heure.
Au-delà de ces rivalités, devenir grand-parent peut donner une grande satisfaction.
Martine et Jean-Paul témoignent d'un "sentiment de quelque chose d'accompli, une certaine fierté d'avoir mené jusque là notre rôle de parents..." comme un passage de relais où Jean-Paul s'est dit : "Ma fille est enfin adulte"


Devenir grands-parents c'est aussi être plongé dans un nouveau monde : "Nous sommes de suite dans le bain pour faire nos premières expériences:.. Nous partageons alors les hésitations, les tâtonnements des deux parents avec leur bébé... ; apprendre tout ce qui est nouveau dans l'art d'habiller les bébés" (Martine)

Quel grand-père ou quelle grand-mère aujourd'hui?

Le sociologue Eric Donfu a étudié un certain nombre de lettres de petits-enfants à leur grand-mère pour en dégager quelques catégories. À mon sens, ce n'est pas une véritable étude sociologique car le recueil de données est biaisé : à l'occasion de la fête des grands-mères, un magazine féminin a organisé un concours de lettres à sa grand-mère puis a demandé au sociologue d'en tirer quelque-chose, ce qu'il a fait à travers ce livre "I Love ma grand-mère." Y figurent les plus belles lettres. Inutile de vous dire l'enjeu commercial de cette démarche, qui pousse à un enjolivement des choses : les plus belles lettres ne sont pas forcément les plus réalistes.
On peut regretter aussi qu'il n'existe pas l'équivalent pour les grands-pères, mais Victor Hugo a eu l'heureuse inspiration d'écrire un recueil de poèmes à ce sujet.
Quoiqu'il en soit, de ces lettres, comme des témoignages que j'ai recueillis et de la lecture de "L'art d'être grand-père" de Victor Hugo, il ressort une forte idéalisation du lien de grand-parent à petit-enfant.


Voici le classement d'Eric Donfu, certain(e)s se reconnaîtront plus ou moins dans quelques catégories, qui correspondent à des traits de personnalité. J'y ai inséré quelques exemples et réflexions personnelles.

Dans la catégorie "Nos grands-mères de plus en plus présentes", il y a la "joie de vivre"la "complice", et "la grand-mère internaute." Attardons-nous sur ces deux dernières.
Les grands-parents sont plus présents dans la vie de leurs petits-enfants à cette génération qu'auparavant. Ils sont vécus comme le premier soutien matériel et moral. Les femmes sont émancipées et ont des relations plus intimes avec leurs petits-enfants, elles entretiennent une complicité inédite avec leurs petit-enfants dans l'histoire des familles.(p 9)
"Avec mes grands-parents, la relation était beaucoup plus distante, à table, il fallait se taire et finir son assiette" Elisabeth, 65 ans, résume ainsi la relation avec les grands-parents d'autrefois.
Donfu situe l'arrivée de la grand-mère complice dans les années 1980 avec une illustration par Denise Grey dans le film "La Boum" où la grand-mère récupère et accompagne sa petite fille au cours d'une fugue.
Mine de rien, la complicité va du fou-rire au "soutien inconditionnel".
J'ajoute quelques extraits à propos de grands-pères :
Julie, 39 ans : "j'avais pas le droit de dire à mamie qu'il fumait en cachette sur le parking" ... puis : "ronflements et grandes rigolades avec mes sœurs en sifflant" ou encore "On s'est regardé et compris... Fou rire..."
"Il fut une époque où je l'appelais tous les jours et on échangeait sur tout et rien"
Anouck, 28 ans : "Il est devenu plus qu'un grand-père, un ami et un confident de 80 ans. IL a joué un rôle essentiel dans ma guérison."

À la génération née après 1930, on voit arriver une nouvelle façon de vivre après 60 ans. À la génération suivante, les "baby-boomers," nés après la deuxième guerre mondiale, suivent le chemin déjà tracé. Ils ont l'idée de rattraper le temps perdu. La vie professionnelle leur a donné le sentiment de ne pas "profiter" de l'enfance et de la jeunesse de leurs enfants. La nouvelle liberté de parole pour cette génération ayant vécu son adolescence dans les années 1960 amène une nouvelle forme de relation privilégiée avec les petits-enfants, et les relations familiales reposent de moins en moins sur le sentiment du devoir à accomplir.


La complicité a des limites
Il me semble que cela peut donner l'impression à certains parents, jaloux de leurs enfants, que leurs propres parents ne se sont pas aussi bien occupés d'eux, ont été plus stricts, plus distants avec eux qu'ils ne le sont avec leurs petits enfants. Ces parents se retrouvent dans le "mauvais rôle" de l'autorité. Leurs parents, qui étaient porteurs de cette autorité, se montrent beaucoup plus indulgents, mettant ainsi en question les valeurs sur lesquelles se basent leurs enfants en tant que parents. Cela peut aller dans l'exagération, "je suis là pour en profiter, pas pour la gronder tout le temps" (p 65) est un argument que l'on entend souvent.
J'émets toujours des réserves lorsque j'entends que l'on veut "profiter" des enfants. Ils ne sont alors pas traités en sujets mais en objets de jouissance pour l'adulte. Ils peuvent être pris dans des enjeux qui ne leur profitent pas et dont ils pâtissent : certains grands-parents jubilent de cautionner les bêtises de leurs petits-enfants plus ou moins jeunes ; j'ai aussi récemment entendu une mère se plaindre du fait que sa mère dort avec sa fille, alors qu'elle s'évertue à faire respecter cet interdit. Nous avons parlé du complexe d’œdipe, c'est un moment structurant dans la construction du sujet parce qu'il met en jeu la loi de l'interdit de l'inceste, loi fondamentale sur laquelle repose toute civilisation.
La question de dormir dans le lit des parents ou des grands-parents touche cette loi universelle. Symboliquement et inconsciemment, avoir accès au lit des parents ou des grands-parents, c'est pouvoir transgresser cet interdit, et tous ceux de notre société qui repose sur cette loi. Ces formes de complicité un peu trop poussée risquent de contribuer à la dégradation de la relation enfants/parents, et à terme, de toutes les relations familiales.
À mon sens, les grands-parents, même s'ils ne sont pas chargés directement de l'éducation de leurs petits-enfants, doivent se situer dans le respect de ce que mettent en place les parents, à quelques petits écarts près. Que les règles ne soient pas les mêmes chez les grands-parents et chez les parents, l'enfant est tout à fait capable de s'en débrouiller. Par contre, s'il repère que les grands-parents transgressent ostensiblement et régulièrement les interdits posés par les parents, qu'il devient l'enjeu d'une rivalité entre adultes, cela pervertit sa relation aux autres et aux règles, compromettant son intégration sociale. En effet, pouvoir transgresser un interdit avec l'assentiment d'un adulte lui donne le droit de passer outre toutes les autres limites. Pourquoi s'arrêterait-il au Stop s'il a le droit de passer au feu rouge?
Plus généralement, il me semble que tout adulte, en tant que citoyen, doit se sentir concerné par l'éducation des enfants, ou du moins en avoir le souci dans ses relations avec n'importe quel enfant qu'il côtoie. Un adulte, quelqu'il soit est une référence pour les enfants.
La complicité a des limites : celles de l'intérêt de l'enfant.


Revenons à la classification d'Eric Donfu avec La Grand-mère internaute : elle est en pleine essor. De 2004 à 2009 le nombre de séniors actifs sur le web est passé de 11,3 M à 17,5 M.
Chez les sujets âgés, les femmes utilisent plus internet que les hommes. En 2010, 52% des plus de 60 ans et 20% des plus de 70 ans ont accès à internet. Les plus de 65 ans ont battu le taux d'évolution d'internautes : multiplié par 116 en 10 ans.
Selon un sondage IPSOS en 2009, 1/3 des grands-mères utilisaient leur téléphone portable, 8% les textos et 6% la webcam.
Il me semble que ces chiffres sont amenés à évoluer car les adultes seront de plus en plus rodés à l'utilisation d'internet avant d'être grands-parents, ce qui n'était pas le cas jusqu'à aujourd'hui.
L'utilisation des textos et d'internet donne une relation plus directe avec les petits enfants, différente de la webcam ou du téléphone familial, où les parents sont souvent présents. Cependant, elle n'est possible qu'avec les enfants en autonomie de lecture.
Internet et les réseaux sociaux transforment les relations entre petits-enfants et grands-parents à condition que ces derniers acceptent d'en apprendre de leurs descendants. Cela ouvre une possibilité de rapprochement relationnel pour des familles très éloignées géographiquement et redonne une importance à l'écriture qui s'était perdue un temps avec le téléphone. C'est l'occasion d'un échange de "technologies" (s'il est ludique et accepté des deux parties) : l'orthographe et la grammaire sont distillés par le grand-parent qui se laisse enseigner sur l'art de surfer dans les réseaux sociaux.


Dans Nos grands-mères inspiratrices, on trouve les "sportives" et les "muses"
Parmi les sportives, il y a celles qui l'ont toujours été et celles qui veulent vieillir en bonne santé. Je pense que ce phénomène s'étend aussi aux grands-pères. Ces grands-parents qui s'occupent de leur corps et de leur bien-être dans leurs activités suscitent l'admiration de leurs petits-enfants et peuvent être un modèle pour eux. Preuve qu'il n'est pas égoïste de s'occuper de soi : cela constitue un nouveau lien social et les petits-enfants sont fiers de leurs grands-parents bien dans leur peau. "Il était trop beau mon papy, et j'adorais le voir parler à tout le monde comme si le monde entier le connaissait." (Julie)

La grand-mère conteuse raconte des histoires, celles des livres et celle de sa famille. Eric Donfu décrit la muse comme "une grande dame, celle qui nous ouvre les portes du meilleur de nous-mêmes." (p 125) Je l'associe à la transmission et à la confiance. Dans beaucoup de témoignages, le petit-enfant rapporte comment le regard confiant voire admiratif du grand-parent lui donne une absolue confiance en lui.
"C'est son amour inconditionnel, sa fierté sans limite envers moi qui ont été un moteur sur la route de la guérison." (Anouck)
"Sans elle, je ne serais pas la jeune fille que je suis aujourd'hui" (Florine) p 73)
"L'effet muse" est un soutien essentiel Claire : "Ma grand-mère, c'était avant tout un sourire.
Plein de confiance et d'amour aussi. Cet amour qu'elle me montrait en venant à chacun de mes concerts, et qui me donnait le courage d'affronter la scène.
Oublié le trac, ma grand-mère était là, toujours fidèle. La seule spectatrice pour qui je jouais au fond. Je voyais ses yeux pétillants et je pouvais commencer à jouer mon morceau.[...]"
Nous voyons ici une présence pour le moins discrète mais fidèle et essentielle : spectatrice au fond, mais toujours là. Un regard, un sourire suffisent.

La présence se décline autrement pour Anouck à propos de son grand-père :
"Il vit par procuration mes voyages par mes photos et mes récits. Il m'accompagne dans mes études et me suit pour mes examens que je passe dans une autre ville... il me dit que ça lui fait des vacances,on boit un petit chocolat entre deux révisions, un petit resto et un débriefing après les épreuves."

Nos grands-mères maternelles, regroupent "la grand-mère nounou" et la "grand-mère gâteau."
Dans les "nounous" pour E Donfu, il s'agit essentiellement de celles qui ont pris le relais d'un parent malade ou absent, alors que certaines se définissent comme "nounous" lorsqu'elles assurent occasionnellement ou régulièrement la garde des enfants.
Les grands-mères (et par conséquent les grands-pères) se font parfois véritablement enrôler dans le foyer familial pour assurer différentes tâches ménagères, logistiques et de garde des enfants. Certaines refusent d'être nounous professionnelles de leurs petits-enfants. Elles ne veulent pas être le seul mode de garde pour préserver leur rôle de grand-mère : elles sentent qu'une dimension d'obligation nuirait à la relation basée sur le désir.
Selon Marcel Rufo, les grands-parents ne doivent pas "être considérés comme subsidiaires ou comme des "bouche-trou."
Eric Donfu ne va pas dans le même sens, d'après lui, ce rôle de garde des enfants pour libérer les parents est devenu le cœur du rôle des grands-parents.
On y trouve tous les degrés d'investissement que Donfu a classé en ce qui risque d'être des clichés un peu caricaturaux : de la "matriarche" incontournable et envahissante qui risque de provoquer à terme les conflits et la rupture, à la "mère-adjointe" plus tempérée qui s'adapte aux circonstances ou les subit, à la "grand-mère providence" dont la vie suit le rythme et les besoins de la famille, et la "grand-mère pompier" qui accourt en cas de problème. J'y ajoute le grand-père Zorro, toujours là quand il faut.
Dolto à ce propos donne une ligne de conduite : "Être là quand on a besoin de vous. Ne pas être là quand on n'en a pas besoin." ce qui me fait dire que le métier de grand-parent peut être aussi ingrat que celui de parent.

Il s'agit pour chacun de trouver sa façon particulière d'être disponible ou non, tout en préservant son propre bien-être et celui des autres. Poser des limites à ses enfants par rapport à leurs demandes peut amener à un équilibre pour chacun.

Garder les petits-enfants peut assurer un relais qui permet aux parents de partir seuls en vacances, de vivre leur vie de couple, ce qui fonde vraiment le ciment de la famille. Éliane et Jean-Claude on eu en charge leurs trois petits-enfants une semaine en l'absence de leurs parents partis en vacances :
"Augustin (1 an) demandait beaucoup les bras, je me suis installée sur le tapis de jeux pour être avec Thomas (3 ans) et lui. Bain, repas histoires, pour les deux. Moment de plaisir, partage, où parfois je chantais. Cela a été le rituel du coucher durant le séjour."
Il ne s'agit pas seulement de "garder" les petits-enfants, mais aussi de les aider à surmonter la tristesse et la frustration de l'absence des parents : "C'est Théo (13 ans) qui a marqué de la tristesse au départ, à notre grande surprise, donc nous avons parlé avec lui, il a été plus joyeux ensuite. C'est l'ado dans toute sa splendeur, il a tenté d'attendrir son papa en douce au téléphone, après une discussion où je n’étais pas ok pour qu'il amène son skate au collège, il s'est aussi plaint à sa mère, on a géré le problème des règles établies entre ses parents et nous."
Nous avons là un panel de petites choses du quotidien dans lesquelles sont plongés les grands-parents lorsqu'ils gardent leurs petits-enfants. Le rôle de grand-parents nécessite beaucoup de tact et d'adaptation aux situations pour suivre les enfants dans leurs réactions parfois surprenantes et les soutenir. Théo nous démontre que "confier" les petits-enfants aux grands-parents nécessite, comme son nom l'indique, une "confiance" mutuelle et une entente sur les limites à donner aux enfants.

Le fait de pouvoir garder les petits-enfants n'est pas acquis une fois pour toutes.
Jean-Paul se définit comme un "grand-père chic-ouf : chic, les petits-enfants arrivent, ouf, ils s'en vont."
Recevoir ses petits-enfants pour les vacances n'est pas une mince affaire, demande beaucoup d'énergie, chamboule le rythme et les habitudes de vie. Si l'on commence à se dire "ça va être dur de tenir plus de deux ou trois jours, je ne vais pas y arriver" il vaut mieux revoir les projets à la baisse que de vivre un calvaire et le faire vivre aux petits-enfants.

Dans certains cas de maladies, les grands-parents peuvent être amenés effectivement à faire face aux défaillances d'un ou des parents.
Inversement, des grands-parents malades ou fragiles peuvent être moins disponibles à certains moments de leur vie. Il est important qu'ils puissent repérer ces moments, en parler à leurs enfants et même à leurs petits-enfants, de sorte de ne les accueillir que s'ils en sentent le désir et la capacité.
Les petits-enfants ne sont pas des cadeaux, à tous les sens du terme.
Certains enfants sont des cadeaux de l'enfant à la mère ou au père... du coup, certains parents ont peur de vexer leurs propres parents en ne leur confiant pas les enfants, mais ne sont pas tranquilles, jusqu'au jour où ils retrouvent toute la maisonnée en vrac parce que la grand-mère s'est alcoolisée ou qu'elle est en dépression sévère, ou encore que le grand-père est devenu maltraitant. Du coup, c'est la rupture et tout le monde souffre.
Il appartient donc aux parents d'être attentifs à l'état de leurs parents lorsqu'ils leur confient les petits-enfants, notamment dans le cas de maladies où la personne n'a pas forcément conscience de son état et de son incapacité, ou n'osera pas dire ses limites de peur qu'on ne lui confie plus les petits-enfants. Cela suppose de dialoguer pour trouver des solutions qui permettent de maintenir le lien sans mettre les enfants dans des situations difficiles à vivre, voire dangereuses.
Cela suppose parfois pour les parents de prévoir un plan B s'ils savent qu'un des grands-parents est fragile. Tout cela suppose de faire l'effort d'affronter des non-dits et des tabous bien ancrés dans la famille.


Grands-parents d'adolescents et jeunes adultes
Plus âgés que les parents et les professeurs, ils représentent à l'adolescence un tiers, un soutien parce qu'ils ne sont pas engagés dans un rapport de discipline. En cas de fort conflit ou de rupture des relations, c'est un refuge possible, une écoute, un soutien "de son côté mais pas contre les autres" rapporte Marcel, car, malgré tout ce que peut dire et mettre en jeu un adolescent au sujet de ses parents, il ne supportera pas que quelqu'un d'autre ternisse leur image. Il est important pour eux que leur entourage continue de respecter et faire confiance en leurs parents, sans pour autant prendre leur parti. Ainsi les grands-parents peuvent se trouver être le seul lien entre les parents et l'adolescent. Cela peut être le début d'une complicité nouvelle et d'un renforcement d'une relation qui pouvait être plus distante avant.


La "grand-mère gâteau" est un véritable fantasme, il n'est qu'à voir comment les marques de produits alimentaires se servent de cette image : de la confiture au café, la grand-mère est une valeur sûre de bonne nourriture. Et pour cause : pratiquement chaque témoignage fait référence aux bonnes choses à déguster de leur grand-mère, cela pouvant aller jusqu'à susciter la rivalité entre mère et grand-mère. Il y a, me semble-t-il, une forte relation entre grand-mère et nourriture et une forte idéalisation de cette relation. Nous verrons cela plus loin.

Enfin, dans Nos grands-mères références on trouve "la grand-mère découverte", le "pilier de la famille" et "la grand-mère centenaire ou presque."
C'est un partage de l'amour de la vie, qui donne un sens aux choses. Celle qui "amène les petits-enfants sur les sentiers de l'initiation au monde", à la vie, éveille les petits-enfants aux choses que les parents n'ont pas le temps _ j'ajouterai le goût _ de faire. Cela va de la transmission de "centaines de petites activités" aux visites culturelles et aux voyages. J'y loge aussi les "grands-mères créatives", qui font partager leur goûts et leur fantaisie, vivent avec les petits-enfants dans le monde magique et de l'enfance, bref, elles (et ils car les grands-pères aussi) transmettent leur imaginaire.
C'est enfin une "mémoire vivante" qui réunit toute la famille : "ce qui me tient vraiment à cœur, c’est d’être un ciment de cohésion familiale. J’essaie de réunir tous les cousins au moins une fois tous les 2 mois, et là pour eux c’est la fête." (Elisabeth.)
Kaï et Ayko, petits-enfants adoptifs en témoignent ainsi : "elle croit qu'on est tout pour elle mais c'est faux. Elle est tout pour nous!"
Ils offrent aux petits-enfants un sentiment de continuité familiale et des possibilités d'identifications.
Une expression résume bien ce que représentent ces grands-parents : "un fil d'Ariane tout au cours de ma vie" dit Laurence après avoir égrené tout ce que sa grand-mère lui a transmis.

J'ajouterai la grand-mère courage, admirée pour son dévouement et / ou toutes les épreuves qu'elle a passé sans se plaindre.

Au-delà de cette classification, j'ai tenté de dégager les traits essentiels de la relation au grand-père ou à la grand-mère.

Les grands-parents sont éternels
Quelle que soit la catégorie dans laquelle elle est "rangée," si l'on peut dire ainsi, il ressort de ces lettres que la grand-mère est "toujours là," à tous les sens où l'on peut l'entendre : toujours est le maître-mot qui traverse tous les témoignages. "toujours là quand il faut"... "il, elle, m'a toujours soutenu"... "toujours partante"... "elle me fait toujours de trop bons gâteaux et de délicieux yaourts, et me lit toujours une histoire avant de dormir."
Tous les petits plaisirs relatifs à leurs grands-parents décrits par les petits-enfants sont accompagnés de ce mot "toujours," qui renvoie à la permanence, la constance, à quelque chose d'immuable et à l'éternité : c'est la répétition des petits moments qui confère des souvenirs marquants au goût d'éternité. Dans la plupart des cas, le grand-parent est vécu comme un soutien indéfectible, inconditionnel. L'image du grand-parent est une image forte, durable, permanente. Cette image perdure après la mort, "toujours là dans mon cœur" est souvent dit à propos des grand-parents décédés, toujours trop tôt.
À travers la relation au grand-parent, l'enfant se forge une image éternelle et idéale qui lui reste à l'âge adulte, lorsqu'il devient parent et même plus tard grand-parent.
"Sa "vieillesse"physique s’oublie à la minute ou on parle à mon grand -père." (Anouck)
Donfu remarque la place privilégiée des grands-parents dans l'histoire des petits-enfants : comme témoins de leur développement. C'est en partie ce qui leur donne ce statut d'éternité : ils sont dépositaires, non seulement des souvenirs de la petite enfance oubliés par l'enfant lui-même, mais également de l'enfance des parents. Rufo parle de "musée psychologique"
Inversement, les petits-enfants confèrent aux grands-parents un sentiment d'éternité, le prolongement de leur vie au moment où ils affrontent l'idée de la vieillesse et la perspective de la mort.
Rufo le formule ainsi : "Avoir un petit-enfant, c'est revisiter sa propre enfance."


Extrait de L'AUTRE (Victor Hugo, L'art d'être grand-père, p 38)
"... Ils sont dans nos logis lugubres le retour
Des roses, du printemps, de la vie et du jour!
[...]
De la tombe entr'ouverte et des ans lourds et froids
Leur regard radieux dissipe les effrois
[...]
En les voyant, on croit se voir soi-même éclore ;
Oui, devenir aïeul, c'est rentrer dans l'aurore"

D'après Michel Butor, auteur de la préface, Victor Hugo serait convaincu de l'origine céleste des nouveau-nés : Ce sont des anges qui viennent du ciel. Dans ses poèmes, il compare souvent ses petits-enfants au printemps, au jour, à l'aurore.
L'arrivée des petits-enfants soulève chez lui la question de la création, et de sa propre existence.

LE POÈME DU JARDIN DES PLANTES p 63-64 Extrait :
"[...]
Je vais dans ce jardin parce que cela plaît
À Jeanne, et que je suis contre elle sans défense
J'y vais étudier deux gouffres, Dieu, l'enfance,
Le tremblant nouveau-né, le créateur flagrant,
L'infiniment charmant et l’infiniment grand,
La même chose au fond ; car c'est la même flamme
Qui sort de l'astre immense et de la petite âme."

À la fin de ce poème, les petits-enfants sont Dieu et il se fait leur apôtre :
"Sentant qu'à force d'être aïeul on est apôtre,
Questionné par l'un, escaladé par l'autre,
[...]
[...] Je finis
Par ne plus être, au fond du grand jardin sonore,
Qu'un bonhomme attendri par l'enfance et l'aurore,
Aimant ce double feu, s'y plaisant, s'y chauffant,
Et pas moins indulgent pour Dieu que pour l'enfant."

Lui, le poète puissant et reconnu, se sent tout petit et impuissant. Il confère au petit-enfant la puissance de Dieu.


Extrait de VICTOR SED VICTUS p 36
"[...]
J'ai devant les césars, les princes, les géants
De la force debout sur l'amas des néants
Devant tous ceux que l'homme adore, exècre, encense,
devant les Jupiter de la toute-puissance,
Été quarante ans fier, indompté, triomphant ;
Et me voilà vaincu par un petit-enfant."

Cette puissance inférée au petit-enfant renvoie à la puissance des sentiments qu'il provoque par son arrivée au monde, par son existence, tout simplement et nous explique un peu la puissance de la relation grand-parent / petit-enfant.


Le monde magique et merveilleux de la relation grand-parent / petit-enfant :

"Mon papy, il éteignait quand même les lumières de sa chambre en claquant des doigts ... Il avait l'interrupteur dans l'autre main, mais ça je l'ai compris plus tard..." (Julie)

Une dimension magique touche à cette relation. "merveille", "merveilleux" vient souvent dans les lettres.
"La relation grand-parent petit-enfant est affublée d'une qualité particulière qui semble préserver les difficultés inhérentes à la plupart des autres relations tissées entre les individus."
La qualité du regard est souvent évoquée : l'étincelle dans les yeux, qui témoigne du désir et du plaisir des grands-parents dans leur présence auprès des petits-enfants. La qualité de l'écoute et aussi de la voix, du rire.
On dit souvent que c'est parce que les grands-parents sont dégagés de la question de l'autorité qu'ils ont une relation privilégiée avec leurs petits-enfants. Or, nous avons vu que ce n'est pas tout à fait le cas. Une grand-mère, Elisabeth, m'a fourni une autre explication que j'ai trouvé très juste: "c'est parce qu'il n'y a pas une obligation de réussite" m'a-t-elle dit. En effet, si les enfants sont en échec ou dits "mal élevés", ce sont les parents qui sont pointés du doigt, pas les grands-parents. Cela permet à ces derniers d'accepter leurs petits-enfants avec leur caractère, leur singularité sans chercher à les changer, sans la pression du regard social.
Même s'ils peuvent avoir une inquiétude à leur sujet, ils ont le sentiment de n'y pouvoir pas grand-chose, au point d'ailleurs qu'ils peuvent repérer des éléments inquiétants dans le développement de leurs petits-enfants mais peuvent difficilement le faire entendre aux parents.

La magie opère même pour les parents qui ne sont pas exclus de cette relation, comme en témoigne Julie : "Ma mère joue son rôle de grand mère à merveille d'une façon si naturelle que je ne me suis même pas posée la question de savoir ce que j'attendrais d'une grand mère!! Mon père, en son temps, était aussi très bien, puisque mes enfants adoraient aller passer du temps avec eux. C'est un signe qui ne trompe pas..."

Cette relation particulière permet de "rester un trait d’union entre les enfants et les parents : souvent ils me racontent ce qu’ils n’osent pas raconter à leurs parents. _ Dit Elisabeth _ On en discute et s’ils m’en donnent l’autorisation je peux en parler à leurs parents ou dans le cas contraire je peux toujours induire le problème."


La transmission
Lacan nous dit que c'est la langue maternelle qui se transmet dans la famille qui véhicule les processus fondamentaux du développement psychique et établit une continuité entre les générations. (p28-29 Complexes familiaux) Cela donne une place fondamentale à la parole.
On trouve chez les grands-parents une volonté de transmission, le plus souvent de valeurs morales que les parents n'inculqueraient pas à leurs enfants... Eric Donfu traite les grands-parents de "passeurs de vie." "Un trait d'union entre moi et mon enfance" (p 24-25)
Tous les témoignages vont dans le sens de quelque chose qui reste de ce qui a été transmis, volontairement ou non, dans les moments de vie quotidienne, même si ces moments sont rares : une manière de vivre, des petits riens du quotidien, que Donfu nomme "savoirs informels faits des menus enseignements de la vie."
(Anouck) : "J'ai puisé dans sa force et sa philosophie, son optimisme, sa manière d'appréhender la vie, de s'adapter...même au pire..."
Elisabeth témoigne du rôle qu'elle se donne : " le maintien du merveilleux et du rêve : ils me demandent toujours de leur « souffler » les rêves le soir, je souffle dans mes mains ouvertes et ils attrapent à la volée des rêves[...]. Le fameux passage secret de la maison en est maintenant à sa troisième génération !!!! Le pator vit toujours dans les cartons du garage et pince les fesses des enfants qui s’y aventurent !!!"
Il y a comme ça des secrets et des personnages imaginaires qui contribuent à l'autorité, qui se transmettent avec délectation et entretiennent chez les petits-enfants comme chez les parents et les grands-parents le sentiment de merveilleux, en même temps que celui de la continuité familiale.
"Je vois une obligation de transmission. Que ce soit de l’histoire petite ou grande, des traditions familiales"
Cette transmission contribue à ce sentiment d'éternité inhérent à la relation petit-enfant / grand-parent, qui n'empêche pas la transmission du temps qui passe : Anita 4 ans «  dis mamie t'étais déjà vieille quand j'étais bébé ? »
"on les voit vieillir on sait qu'ils vont nous quitter trop tôt" (Julie)
"J'appréhende sa disparition tout en me disant qu'il ne voudrait pas que je m'en fasse et qu'il m'a transmis la force et la philosophie nécessaire à surmonter cette épreuve." (Anouck)

La transmission est aussi au présent à double sens : Martine : "Mes petits enfants me tiennent au courant de l'actualité qui est la leur : jeux, école, dessins animés, pub [...]chaque rencontre est riche de ce qui a « grandi » en eux . Ils nous initient au monde d'avenir qui est le leur et se régalent quand leur grand père met en scène les bêtises que faisaient leurs propres parents ou qu'il faisait à leur âge."

La transmission peut avoir un effet retard : "Il m'offrait des livres et j'avoue que je détestais ça mais c'est par la suite que j'ai compris à quel point ces livres avaient été précieux pour moi et dans quel but ils me les avaient achetés." (Anouck)


Grands-parents : une histoire de nourrissage

parmi ce qui se transmet, il y a beaucoup d'histoires de bonnes choses à manger.
"C 'est toujours mieux avec papy mamie... jusqu'à la brioche du matin (même marque qu'à la maison)... Ma fille m'a expliqué qu'elle était meilleure là bas et qu'elle ADORAIT prendre le petit déjeuner chez mamie." (Julie)
Les petits plats préférés ou les confitures sont toujours les meilleurs du monde, les souvenirs d'enfance sont toujours liés à de bonnes choses à manger. "des légumes aux gâteaux, elle ravit les papilles."..."elle me mitonne mon plat préféré, elle a toujours dans ses placards une petite douceur que j'affectionne" (mamie gâteau).
Nous voyons là comment la nourriture est liée à la douceur et à l'affectif, ainsi qu'au côté "éternel", avec quelque chose de jubilatoire et de rassurant.
Cela réside peut-être dans le fait que le goût est mis en éveil très tôt, avant la naissance. Ce souvenir gustatif, avec la transmission des recettes, semble condenser non seulement beaucoup de plaisir mais aussi beaucoup d'affection et de douceur. C'est comme la preuve d'amour par excellence, où le petit-enfant, même grand, se sent aussi bon que ce qui lui est donné à manger et se sent unique car le plat ou la confiserie a été préparé pour lui.

Nous pouvons trouver un éclairage de cet "effet madeleine de Proust" avec le complexe du sevrage.
Lacan le définit ainsi : “Le complexe du sevrage fixe dans le psychisme la relation du nourrissage, sous le mode parasitaire qu'exigent les besoins du premier âge de l'homme ; il représente la forme primordiale de l'imago maternelle.”
Autrement dit, le nourrisson, comme son nom l'indique, est totalement dépendant de celle qui le nourrit, qui fait figure maternelle. Ce complexe "fonde les sentiments les plus archaïques et les plus stables qui unissent l'individu à la famille"
Le sujet, en grandissant, doit passer à un autre mode de relation pour devenir autonome, et ce n'est pas sans mal : l'enfant garde toujours une nostalgie de cette période, que Lacan rapproche des "nostalgies de l'humanité : mirage métaphysique de l'harmonie universelle, abîme mystique de la fusion affective, utopie sociale d'une tutelle totalitaire..."

Je fais l'hypothèse que cette nostalgie liée aux souvenirs de nourriture est issue de ce complexe du sevrage, et, contrairement à la relation avec les parents où l'enjeu vital est de faire grandir le bébé, la relation avec les grands-parents peut rester à ce stade, sans passer aux complexes suivants.
Cela explique également cette particularité de la relation, plus ou moins fusionnelle, mais souvent totalement idéale.
Cela ne se produit pas seulement à propos des gâteaux de mamie :
Anouck illustre cela à propos de son grand-père : "J'ai cette impression qu'il a toujours été comme ça, comme une vision enfantine qui nous laisse penser que les personnes âgées ont toujours été âgées, sages pleines de ressources et de bon sens."
La relation petit-enfant-grand-parent est préservée par cette vision enfantine.



Les sujets qui fâchent
Ce n'est pas toujours merveilleux d'être grand-parent ou d'avoir des grands-parents.
Le réveil des rivalités

La réaction des futurs grands-parents dès l'annonce de la grossesse peut blesser les futurs parents : trop ou pas assez de joie, l'accueil qu'ils leur réserve ensuite en fonction de comment ils ont vécu leur propre parentalité... l'arrivée d'un premier petit-enfant d'une génération peut être lourde à porter pour lui car il est enfant roi durant un certain temps et se trouve ensuite délogé sans ménagement à l'arrivée du suivant. Un garçon de 11 ans m'a confié cela récemment, regrettant de ne plus avoir de temps seul avec ses grands-parents car sa grand-mère invitait systématiquement son cousin lorsqu'il venait.
Les rivalités se transmettent de génération en génération : les parents eux-mêmes peuvent trouver que leurs parents font des préférences avec les petits-enfants. Il est vrai que les grands-parents peuvent trouver qu'ils ont une meilleure relation avec certains petits-enfants, voire même avoir un préféré, ce que les parents en général ne se permettent pas.

Le réveil des souffrances et les ruptures

Parmi les enfants que je vois en consultation, un nombre non négligeable ne connaît pas au moins un de leurs grands-parents vivants. Il n'est pas rare que les parents, au détour de la conversation, disent presque par hasard qu'ils sont fâchés avec un ou leurs deux parents. En général les petits-enfants le savent, mais ils connaissent rarement la raison. Souvent, on leur a expliqué la situation lorsqu'ils étaient petits et, en grandissant, ils ne s'en souviennent pas. Ces ruptures sont des plaies ouvertes pour les parents qui n'en parlent pas volontiers. En effet, la rupture n'a été qu'une solution à une situation intenable et à une souffrance, sans régler le problème. Les petits-enfants doivent grandir avec cette interruption dans la transmission et cette énigme des relations familiales.

Dans les cas de rupture, les grands-parents peuvent faire valoir leur droit de relation avec leurs petits-enfants. Je cite l’École des Grands-Parents Européens "Ce droit de relations a été affirmé dans la Convention internationale des droits de l'enfant puis dans notre Code Civil complété par un arrêté et un décret"
"Malgré ces différentes dispositions, l’expérience acquise à l’EGPE nous permet de dire que le recours à la justice ne doit rester que l'ultime moyen d'action des grands-parents : ce sont des procédures longues, coûteuses, aléatoires et souvent traumatisantes et douloureuses pour l'ensemble de la famille."
L’EGPE - à l’écoute des grands parents depuis près de 12 ans - préconise de rechercher une solution amiable avant d'engager une procédure et, surtout, de ne pas rester isolé face à ce souci."
Les droits des grands-parents sont en fait les droits des enfants : "l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale."

L'arrivée d'un bébé peut raviver des souffrances et occasionner une rupture : Donfu cite Elsa, 70 ans, confie : "ma fille avec laquelle je pensais m'entendre si bien, (je n'ai pas compris comment) , a basculé dans une attitude très hostile"... sa fille n'avait aucune confiance en elle. (p 40)
Certains enfants gardent à l'âge adulte une relation difficile avec un ou leurs deux parents. Sans qu'il y ait rupture, l'arrivée d'un bébé peut réveiller ces difficultés et engendrer de nouveaux conflits, d'autant que le fait de devenir parent exacerbe la sensibilité et les susceptibilités. Certains gestes ou paroles maladroits peuvent être très mal interprétés et déclencher les hostilités.

Pour les grands-parents, il n'est pas facile non plus de vivre des situations qui réveillent leurs souffrances de parent. "Pour moi,c'est sur le plan émotionnel que c'est parfois douloureux, _ raconte Éliane _des images des situations me reviennent en tant que maman. Je me suis fait violence pour amener Augustin à la crèche, le laisser en pleurs m'a arraché le cœur,et je me suis dit, il me faut revivre ça avec mes petits enfants, c’était bien assez avec mes enfants. De ce temps là (je dirai) on ne parlait pas ainsi aux enfants, c’était tout naturel de partir de revenir..."
Au début nous parlions de l'inconscient, eh bien nous voyons qu'il ne s'amenuise pas avec l'âge : les douleurs des grands-parents sont celles qu'ils ont vécu en tant que parent et même en tant qu'enfant.




Pour conclure,

J'ai choisi le mot "rôle" pour titre car il me semble qu'il s'agit surtout de quelque chose qui se joue dans la relation entre grand-père, grand-mère et petit-enfant. Il n'y a pas une grand-mère ou un grand-père type. Ce qui se transmet va bien au-delà de l'image que l'on peut se faire d'être grand-parent, et bien au-delà des liens héréditaires.
Il y a une rencontre singulière entre deux êtres de deux générations différentes, une relation qui évoluera au fil du temps et des événements familiaux, une relation singulière pour chaque grand-mère ou grand-père avec chacun des ses petits enfants. À chaque fois, une relation unique.

Print Friendly and PDF