dimanche 24 novembre 2013

Quels rôle pour les grands-parents aujourd'hui?

Il y a ceux qui sont loin, ceux qui sont trop là, ceux qui ont disparu avant nous, ceux que nous avons peu connu, ceux que l'on ne connaît pas, ceux qui nous font rêver, ceux qui nous adorent, ceux dont on n'entend jamais parler, ceux qui sont devenus une légende...

Nous avons chacun une référence de ce que sont ou ont été nos grands-parents pour nous. Enfants, adolescents, jeunes adultes, jeunes parents, grand-parents puis arrières grand-parents... nous nous inscrivons dans une succession de générations, qui parfois se chevauchent et l'état de grand-père ou grand-mère peut durer la moitié de la vie.

Quels grands-parents aujourd'hui ?
Mamie-gâteau ou mamie-zumba?
Papi vélo ou papi webcam?
Grands-parents-nounous, à temps plein ou en intérim?...

jeudi 8 août 2013

Quelles limites pour nos enfants, nos adolescents?

    Je vous remercie de m'avoir confié cette délicate mission qui est celle de parler des limites. Je n'en oublie pas pour autant le cadre de cette conférence : "la parole aux parents", c'est pourquoi je me fais ici porte parole de ce que j'entends dans ma pratique, paroles de parents, d'enfants, de professionnels, ainsi que quelques exemples trouvés dans la littérature.
    Ce que je vais dire ici n'est donc pas une méthode éducative, mais plutôt un témoignage de là où j'en suis dans ma recherche à ce sujet, de ce que m'ont enseigné les parents et les enfants que j'ai pu écouter.
"J'ai beau lui expliquer, il ne m'écoute pas."
"Je ne comprends pas pourquoi elle fait ça... pourquoi elle est comme ça"
"On ne sait plus quoi faire, on a tout essayé, on n'en peut plus"
"Je le menace de la pension, c'était ma terreur quand j'étais petit."
"Il me tape, il m'insulte"
"Il a un problème avec le non"
"Il est violent."
Je pourrais continuer longtemps la liste des plaintes des parents....

jeudi 30 mai 2013

Lalangue des détritus Soirée du groupe "Che Vuoi?" Talence, mai 2013

Lalangue comme reste

L'intitulé de la soirée "Ce qui reste à savoir" m'a aussitôt évoqué l'extrait de la Conférence à Genève sur le symptôme1 :
"Le fait qu’un enfant dise peut-être, pas encore, avant qu’il soit capable de vraiment construire une phrase, prouve qu’il y a en lui quelque chose, une passoire qui se traverse, par où l’eau du langage se trouve laisser quelque chose au passage, quelques détritus avec lesquels il va jouer, avec lesquels il faudra bien qu’il se débrouille."
Daniel Pennac utilise une métaphore similaire : il traite ses élèves d'"enfants de la langue [...] menu fretin charrié par le grand fleuve jailli de la source orale des Lettres."2 il dit : " je les précipitais tout vifs dans le grand flot de la langue, celui qui remonte les siècles pour venir battre notre porte et traverser notre maison. "
Selon lui, l'enfant "aimera savoir en quelle langue il nage, ce qui le porte, le désaltère et le nourrit, et se faire lui-même porteur de cette beauté, et avec quelle fierté!"
Je trouve qu'il décrit là la jouissance de lalangue que nous verrons plus loin.

Des questions me sont restées de la dernière soirée : Comment l'enfant est-il traversé par le langage? Comment des mots peuvent avoir un impact sur le corps?

Sur les traces de Freud

Aujourd'hui, les neurosciences cherchent à démontrer que le langage est purement une affaire de cerveau. Lors de la semaine du cerveau qui a eu lieu récemment, un reportage télévisé aux infos nationales faisait état de ce que, maintenant, nous avions la preuve en images et en couleurs du fait que le foetus entend et reconnaît les voix de son père et de sa mère. Le reportage concluait : "désormais, nous allons pouvoir soigner les troubles du langage."

Freud a d'abord cherché au niveau du cerveau l'origine de certains troubles. Avant d'inventer la psychanalyse, il cherchait une explication neurologique aux aphasies. Il en est arrivé à l'invention de la psychanalyse, ayant découvert l'inconscient et ses symptômes qui pouvaient faire retour dans le corps et dans le langage.


Les liens Freudiens entre les mots et le corps :

Freud fait l'hypothèse de "la conservation des représentations du langage dans les cellules"3. Il définit les "images mnésiques"4 comme des "traces durables," "résidus d'excitations passées", impressions sensorielles livrées par le monde extérieur et qui seraient "enfermées" dans des cellules du cerveau. Il cherche à déterminer leur localisation à partir des différentes aphasies.
Au cours de sa recherche, il remet en question cette idée de localisation qui "ne repose que sur une confusion du psychique et du physique"5 : "On peut se demander si une telle hypothèse qui relègue les représentations dans les cellules est correcte et admissible. Je crois qu'elle ne l'est pas."6



Il est donc difficile de définir se fait la connexion entre le mot et le corps, reste à trouver comment. Freud constate une "Impossibilité de séparer sensation et association" qui sont deux aspects "d'un processus homogène et indivisible. Nous ne pouvons avoir aucune sensation sans l'associer aussitôt."7



Le "mot", considéré comme l'unité de base de la fonction du langage pour la psychologie, "s'avère être une représentation complexe, composée d'éléments acoustiques, visuels et kinesthésiques."
Dans un texte de 1897, Freud confirmera qu'un "mot" se compose d'éléments sensoriels et moteurs.
Il considère que "le langage s'apprend par la voie auditive"8, sous deux formes : le mot entendu donne une image mnésique (représentation acoustique) et le mot parlé implique une représentation motrice (des organes de phonation), qui est une image mnésique des "mouvements du langage". Ici, on trouve la mise en jeu du corps. Il distingue aussi l'image optique du mot vu (écrit) et la représentation motrice du mot écrit concernant l'enfant plus âgé.


Freud s'attache ensuite à définir les "opérations de langage"
"Nous apprenons à parler en associant une image sonore verbale à une sensation d'innervation verbale [...] nous conservons, après avoir parlé, une "image sonore" du mot prononcé."9



"A ce stade (celui du développement du langage infantile), nous nous servons d'un langage que nous avons créé nous-mêmes, et nous nous comportons comme des aphasiques moteurs, puisque nous associons différents sons verbaux étrangers à un son unique produit par nous-mêmes." 10

Le langage est défini là comme une création du sujet à partir de ce qu'il entend et à partir de ce qu'il peut émettre comme son avec son immaturité.
Amélie Nothomb décrit cela dans "Métaphysique des tubes" Pour elle, c'est un désagrément : le personnage, une petite fille de deux ans découvre que les sons produits ne sont pas ceux qu'elle veut émettre, elle ne maîtrise pas le langage comme elle croit règner sur le monde qui l'entoure11.
Nous trouvons là les prémisces de ce que Lacan nommera "lalangue." Il décrit cela au contraire comme une jubilation, une jouissance.


Le système "perception-conscience"

Dans sa lettre N°52 à Fliess12, Freud garde la notion de localisation, qu'il applique, non pas à l'anatomie, mais au psychisme qu'il semble toujours relier au système nerveux. Il part de l'hypothèse d'une stratification où "les matériaux présents sous forme de traces mnémoniques se trouvent de temps en temps remaniés suivant les circonstances nouvelles." Il apporte une conception dynamique de l'appareil psychique, avec l'idée que les traces mnésiques sont présentes sous forme de différentes sortes de "signes", introduisant la notion de chiffrages, dont le premier est l'écriture de "l'impression."
Dans un tableau il décrit les 5 strates, couches de différents "enregistrements", de la perception jusqu'au conscient.
La jouissance est localisée au lieu des perceptions, c'est à dire dans le corps. Ces impressions deviennent des signes dans une opération de chiffrage qui implique une perte de jouissance. (Par exemple, une empreinte de pas est signe du passage de quelqu'un qui n'est plus là.)
L'inconscient déchiffre par les mécanismes de condensation et déplacement, le préconscient traduit les représentations de choses en représentations de mots.
Dans ce texte de décembre 1896, il s'attache encore à trouver les causes de l'hystérie dans un traumatisme réel de séduction par le père. Il y renoncera définitivement dans sa lettre 6913 : "Je ne crois plus à ma neurotica" privilégiant l'idée du fantasme, prémisces du complexe d'Oedipe : "le fantasme sexuel se joue toujours autour des parents".


L'entendu de lalangue dans la famille est un malentendu
Dans sa lettre N° 5914, (1897) Freud formule avec étonnement l'importance du discours dans lequel a baigné le bébé, utilisant la métaphore aquatique que l'on retrouve chez Lacan puis Pennac : "... J'ai découvert ce qui me manquait dans le problème de l'hystérie, c'était une nouvelle source d'où s'écoule un élément de la production inconsciente. Je veux parler des fantasmes hystériques, qui, chaque fois, je le constate, se rapportent à des choses que l'enfant a entendues de bonne heure et dont il n'a que longtemps après saisi le sens. Fait surprenant, l'âge où l'enfant a acquis ces notions est très précoce : à partir de 6 ou 7 mois!..."
Une phrase de Lacan fait suite à la première citation de la conférence de Genève : "C’est ça que lui laisse toute cette activité non réfléchie – des débris, auxquels, sur le tard, parce qu’il est prématuré, s’ajouteront les problèmes de ce qui va l’effrayer. Grâce à quoi il va faire la coalescence, pour ainsi dire, de cette réalité sexuelle et du langage."
Ainsi, Freud détaille les étapes par lesquelles les impressions corporelles se traduisent dans le langage. Dans le même temps, il établit un lien entre les névroses et le fantasme sexuel, indissociable du langage, dans un effet d'après-coup de lalangue entendue. Lacan précise qu'avec lalangue, l'enfant tente de réunir, de faire fusionner réalité sexuelle et langage.
Nous voici donc à ce qu'il a nommé "lalangue dans la famille" :
"Selon Lacan, la vérité de la constitution est la famille. Nous croyons que nous disons ce que nous voulons, mais c’est ce qu’ont voulu les autres. Notre famille nous parle. Nous sommes parlés, et nous en faisons une trame. Quand Lacan dit «la famille», il dit «le désir des parents», mais encore mieux «lalangue dans la famille». Le désir de l’Autre, des parents et des autres, comment ça se dit ? Il ne se communique pas par l’opération du Saint-Esprit, mais il se transmet, se véhicule, s’impose, s’imprime par lalangue de la famille."15


Pour Lacan, cette question du désir des parents ne peut être qu'un malentendu. "Le malentendu est déjà d'avant. Pour autant que dès avant ce beau legs,[cette lignée qu'on vous a transmis en vous donnant la vie] vous faites partie, ou plutôt vous faites part du bafouillage de vos ascendants."16



Comment l'enfant se débrouille ou s'embrouille avec lalangue?

(Lacan, conférence de Genève) : "Il est tout à fait certain que c'est dans la façon dont la langue a été parlée et aussi entendue pour tel et tel dans sa particularité, que quelque chose ensuite ressortira en rêves, en toutes sortes de trébuchements, en toutes sortes de façons de dire."
Deux vignettes cliniques :

Une invention langagière pour se séparer :
Mme B. demande à me rencontrer, à la crèche. Ida, sa fille, âgée de 2 ans, est de plus en plus agressive: elle mord les autres enfants et leur arrache les jeux.
Elle évoque une grossesse non désirée, une demi-soeur de 13 ans qui rejetait le bébé, et décrit un accouchement et un allaitement "catastrophiques."
Elle s'est forcée durant un an à allaiter sa fille, malgré les gerçures et les douleurs : "je faisais des cauchemars que je me faisais bouffer par ma fille." Puis le père a pris le relais avec le biberon.
Selon Mme B. le sevrage s'est fait très doucement. Cependant, elle relate que parfois sa fille lui tord les seins.
Les séparations sont difficiles et Ida pleure quand c'est elle qui la couche.
Le père confirme, lors d'un second entretien : "C'est moi qui la couche depuis qu'elle n'est plus au sein."
Le comportement d'Ida s'est apaisé à la crèche, cependant, sa maman sollicite un troisième entretien : Mme B. arrive en short, Ida lui lèche la cuisse. La mère ne réagissant pas, je demande à Ida : "qu'est-ce que tu veux lui faire?" Mme B. prend alors sa fille sur ses genoux. Ida me répond en m'adressant une bise de loin, puis en fait une sur la bouche de sa mère. Je dis avec légèreté: "ça ne se mange pas les mamans." Nous rions. La maman se plaint : "Depuis une semaine, elle hurle et ne s'endort pas avant 23 heures. Il y a eu des travaux dans la maison, elle a dormi deux nuits avec nous, c'est depuis que ça ne va plus, alors qu'elle dormait bien."
Elle relate que sa fille dit qu'elle a peur des grenouilles et lui demande, le soir, "regarde si y'a pas de grenouille." "Sur le mur", précise alors Ida. Il y a des stickers, est-ce que la forme, la nuit, lui fait peur, se demande Mme B.
Ida imprime des formes sur un tableau magnétique : je fais remarquer que ce ne sont pas des grenouilles. Elle dessine un rond et dit : "c'est la grenouillida". J'énonce alors qu' Ida n'est pas une grenouille.
Ida montre des images au mur et nomme – "sapin... loup... le toucher"–, elle va caresser l'image du loup sur l'affiche.
Il est méchant? demande la mère.
Non.
Et la grenouille?
Oui, elle gronde petit comme ça." Ida montre un espace entre ses doigts.
Mme B. dit qu'elle crie beaucoup en ce moment, n'a pas beaucoup de patience, et se rend compte qu'elle ne passe pas beaucoup de temps avec sa fille. À l'occasion des diverses nominations, nous évoquons le choix du prénom pour Ida, "c'est venu comme une évidence" la maman dit là quelque chose de son désir pour cette enfant qu'elle disait pourtant ne pas vouloir.
Le seul moment où Ida était avec ses deux parents était la nuit. Ida met alors la poupée dans le couffin et dit : "il dort."
Ses problèmes de sommeil se sont apaisés en suivant.
Au moment du coucher, moment de séparation mais aussi de retrouvailles avec ses pulsions, Ida avait peur. Dans "lalangue", grenouillida semble la condensation d’une représentation d'elle-même et de sa peur. La remise en circuit de la parole avec ses parents et l'invention du signifiant grenouillida, qui la représente comme sujet, a permis à cette petite fille de se dégager de cette relation où il s'agissait de manger l'Autre ou d'être mangée.


Une mise en acte d'un malentendu : lalangue prise dans la logique de la pulsion

Johan, un garçon de deux ans et demi, a mordu une fillette à la crèche. Celle-ci porte presque le même prénom que lui. Il explique à l'éducatrice "j'ai mordu parce que je voulais le tracteur." L'éducatrice lui faisant remarquer qu'il sait demander, il rétorque avec force : "oui mais papi de maman il mord!" appuyant ses paroles d'un geste des poings serrés vers la bouche avec beaucoup d'intensité. Renseignement pris, le papi de la maman de Johan ne mord pas, mais il est mort. Ce n'est pas un événement récent, mais la mère confirme qu'ils en ont parlé la veille. Ayant repéré une charge affective particulière dans ce qu'il a entendu, Johan a mis en acte un signifiant attrappé dans lalangue de la famille. Il se peut que se condensent là la question de la mort et de la différence des sexes, qui l'agitent dans son corps. En effet la morsure est venue avec l'enjeu d'avoir l'objet que détenait un fille.
Nous avions travaillé ce cas au laboratoire du CIEN de Parentis. L'exemple de Johan était venu éclairer une question que se posaient des enseignantes d'enfants autistes qui ne parlent pas, avec l'idée que, s'ils parlaient, on pourrait les comprendre. La morsure de Johan nous avait appris que le rapport au langage n'est pas un rapport au savoir, au sens, mais un rapport à l'inconscient. Lacan dit que "le verbe est inconscient - soit malentendu."17 L'enfant baigne en permanence dans ce malentendu.

Pour conclure, un exemple de lalangue de la famille, cité par Philippe Lacadée dans "Vie éprise de parole"18 : Jean-Paul Sartre dans "Les mots" évoque sa famille. Son père étant décédé lorsqu'il avait quelques mois, il a vécu avec sa mère chez ses grands-parents. Son grand-père Charles se faisait appeler Karl, et sa grand-mère Louise se faisait appeler "mamie". "Ma mère me répétait cent fois par jour, non sans intention : Karlémami nous attendent ; Karlémami seront contents, Karlémami..." évoquant par l'intime union de ces quatre syllabes l'accord parfait des personnes. Je n'étais qu'à moitié dupe, je m'arrangeais pour le paraître entièrement : d'abord à mes propres yeux. Le mot jetait son ombre sur la chose ; à travers Karlémami je pouvais maintenir l'unité de la famille et reverser sur la tête de Louise une bonne partie des mérites de Charles."19


1Lacan, Jacques CONFÉRENCE À GENÈVE SUR LE SYMPTÔME 1975-10-04
2 Pennac D. "Chagrin d'école" Gallimard, 2007 p. 158-159
3Freud S. "Contribution à la conception des aphasies" PUF 1996 p 53
4Ibid
5Ibid, p 104
6Ibid
7Ibid, p 106-107
8Freud, S. "La paralysie cérabrale infantile" 1897 in "Contribution à la conception des aphasies" PUF 1996, p 42
9Freud S. "Contribution à la conception des aphasies" PUF 1996 p 123
10Ibid
11 Nothomb A. "Métaphysique des tubes" Le livre de poche. Albin Michel, 2000, p. 25
12Freud S. "Naissance de la psychanalyse" PUF, 1956, p. 153
13Freud S. Naissance de la psychanalyse, PUF 1956 p. 190-191
14Freud S. Naissance de la psychanalyse, PUF 1956 p. 170
15Miller, Jacques-Alain "Joyce le symptôme" Section clinique de Barcelone
16Lacan, Jacques "Le malentendu", in Ornicar? N° 22-23, Lyre, Paris, 1980,
17Lacan, Jacques, Le malenendu
18Lacadée, Philippe, "Vie éprise de parole" Editions Michèle, Paris, 2012, p 38
19Sartre, Jean-Paul, "Les mots" Folio, 1964, p 31-32