mercredi 30 novembre 2011

Du hochet à la DS

Entrons dans le vif du sujet avec une scène observée dans une crèche. Lily et Lola ont entre 2 ans et demi et 3 ans.
_ Allez, viens mon bébé, je vais te mettre la couche.
Lily traîne sous son bras un petit drap qu’elle dispose soigneusement sur la table. Elle installe son bébé dessus. Elle entoure les fesses du bébé d’un lange trop court. ça ne tient pas. Elle met son menton à contribution pour tenir le tissu pendant que, de ses deux mains, elle retourne délicatement le bébé. Elle n’y arrive pas du premier coup. Elle est obligée de recommencer. Elle tape le bébé....

_ T’as fini de bougeoter ! Je vais t’en mettre une… mais arrête de t’agiter comme ça ! Voilà ! Maintenant tu pleures, tu vois ce que t’as gagné !
Après de longues minutes, elle arrive à coucher le bébé sur le dos, les fesses entourées du lange. Il reste à passer le tissu entre les jambes et faire tenir le tout. Le bébé n’écarte pas ses jambes  malgré les injonctions de Lily. Quelques minutes encore seront nécessaires pour que la couche tienne autour des fesses du bébé à l’aide d’un chouchou.
Lily reprend le bébé langé, chouchouté, ainsi que le drap. Elle installe le tout dans un petit lit.
_ Voilà, t’as sommeil, maintenant tu vas dormir… je te laisse la lumière, maman n’est pas loin … non, c’est pas la peine de pleurer, c’est l’heure de dormir.
Lily vient me raconter que son bébé dort parce qu’elle est fatiguée :
_ Elle va dormir trois heures.
Après quelques secondes, Lily se met à couiner avec une petite grimace :
_ Oh ! Elle s’est réveillée ! S’écrie-t-elle en tapant du pied. Qu’est-ce que t’as ? Crie-t-elle de loin. Elle part à grandes enjambées jusqu’au petit lit :
_ Ah ! Tu veux tes animaux ? Les voilà… maintenant tu dors !
Elle revient m’expliquer que son bébé avait besoin de ses animaux pour dormir, sinon elle avait peur. Elle repart vers le berceau après avoir couiné de nouveau. Cette fois elle se fâche :
_ Ça suffit ! Tu vas t’arrêter de pleurer et tu vas dormir, sinon papa va venir te taper, t’es pas gentille !
Elle revient excédée me faire son rapport. Le calme revient. Lily semble même avoir oublié son bébé. Il est vrai qu’il est censé dormir trois heures.
Lola, qui jouait aux légos, s’approche du berceau, un assemblage de cubes à la main. En forme de pistolet. Lily se met à hurler comme un bébé. Le corps érigé, un bras tendu jusqu’à l’index vers le berceau. Immobile. Elle met toute sa force dans son cri. Lola ne semble pas impressionnée. Elle reste tout de même à distance. Pistolet pointé vers le berceau, joues gonflées, elle accompagne d’un grand bruitage de bouche une invisible mais spectaculaire projection en direction du bébé.
 _ J’ai tué ton bébé. Dit-elle solennellement à Lily.
Lily hurle de plus belle. Cette fois en se tournant vers moi, comme écartelée. Un bras toujours tendu vers le berceau, l’autre vers moi. Sa bouche est grimaçante de douleur. Ses yeux crient l’horreur et le désespoir.

À partir de cette scène, nous allons découvrir ce qu’est le jeu.
Le jeu est tellement important dans la vie du sujet que les psychanalystes d’enfants comme Mélanie Klein, puis Winnicott se sont rapidement appuyés sur le jeu pour mener leur cure : le jeu de l’enfant était et est toujours à la fois observé pour connaître le sujet et son développement, et utilisé comme thérapeutique.
Winnicott nous dit dès 1951(1) :
"jouer est une expérience toujours créative qui s'inscrit dans le temps et dans l'espace, une forme fondamentale de la vie, qui est intensément réelle pour le patient"
Lily nous en apporte la preuve. Elle me prend à témoin, mais est seule dans son jeu : elle montre sa capacité à jouer seule en présence de l’adulte, dans ce que Winnicott définit comme l'espace potentiel entre le bébé et la mère, espace qui s'oppose au monde du dedans et à la réalité du dehors.
Le jeu a une place et un temps propres.

Dans ce qu’il appelle cet « espace potentiel » ou « aire transitionnelle » l’enfant maintient et sépare réalité interne et réalité extérieure.
Cette aire est en dehors de l’individu mais n’est pas non plus le monde extérieur. Même si on peut imaginer que Lily imite ou répète des choses vues, vécues ou entendues, elle les répète avec une certaine exagération, elle joue sa réalité interne, ce qu’elle imagine.
C'est la préoccupation et la concentration qui marquent essentiellement le jeu d'un enfant, davantage que le contenu. L'enfant qui joue habite cette aire intermédiaire d’expérience (venant de "experiencing" : processus, mouvement) qu'il ne quitte qu'avec difficulté, où il n'admet pas facilement d'intrusion.

Lily est à son affaire lorsqu’elle lange la poupée avec beaucoup de persévérance, elle est aussi prise émotionnellement dans son jeu et l’intrusion de Lola lui est insupportable.
Le jeu implique le corps : par la manipulation des objets, et par l'excitation corporelle.
Cette excitation ne cesse de menacer le jeu et du même coup le sentiment d'exister en tant que personne. Le jeu est essentiellement satisfaisant même s'il conduit à un degré d'angoisse. Il y a un degré d'angoisse qui détruit le jeu. Les pulsions constituent la plus grande menace pour le jeu.
Ici, c’est Lola qui fait irruption dans le jeu de Lily, mais cela pourrait être une émotion, une pulsion, qui déborde le sujet lui-même et l’angoisse. La simple approche de Lola a déclenché des hurlements chez Lily, qui était dans son jeu autant identifiée au bébé qui pleurait qu’à la maman.
Il est probable que les cris de Lily aient encouragé Lola à aller jusqu’au bout, Lily était sidérée, car Lola venait révéler au grand jour ce que Lily jouait : l’agressivité envers le bébé, qui peut aller jusqu’au désir inconscient du meurtre.

C’est sans doute parce que l’enfant n’a pas conscience de ce qu’il joue qu’il vit toute intervention comme une intrusion.
La satisfaction dont parle Winnicott n’est pas seulement le plaisir : Lily n’a pas l’air de rigoler. Ici, il s’agit plutôt de satisfaire une pulsion.
On peut être choqué de la brutalité avec laquelle Lily traite le bébé, on pourrait même se laisser aller à penser que cette enfant a vécu ce qu’elle met en scène. Ce n’est pas tout à fait ça. Comme je l’ai dit tout à l’heure, elle y met du sien, elle y met sa part d’agressivité et de désir inconscient. Dans le jeu, les pulsions sont plus ou moins symbolisées, voilées, enrobées, masquées. Parfois à peine, parfois pas suffisamment, c’est là que le jeu s’interrompt.
Le jeu d’un enfant peut paraître criant de vérité, il ne révèle que la vérité du sujet.

Poursuivons avec Winnicott : Dans cette aire d’expérience, l'enfant rassemble des objets ou phénomènes appartenant à la réalité extérieure et les utilise en les mettant au service de sa réalité interne. Sans halluciner, l'enfant extériorise un échantillon de rêve.
C’est un peu comme le mécanisme du rêve. Il y a ce que Freud appelle des « restes diurnes », c’est à dire des éléments de la réalité vécue la journée, mêlés à des éléments de l’imaginaire du sujet.
Le terme d’objet a un sens très large. Il ne s’agit pas forcément d’objet concret, il s’agit d’objet d’investissement, d’objet d’intérêt. En psychanalyse, l’objet est aussi l’objet de la pulsion.


Le jeu est un ensemble de paradoxes, entre dedans et dehors, entre pulsion et raison, entre désir et angoisse, entre plaisir et déplaisir...
"c'est pas du jeu" quand il y a trop d'excitation, de surprise, de répétition, ou trop de plaisir, trop de pulsion : alors apparaît l'angoisse.
 Lorsqu’un enfant ne joue pas, ou ne peut passer du temps à se poser seul, à créer ses petites histoires est peut-être en difficulté ou en souffrance.
Jouer est un signe de bonne santé.

Qu’est-ce que jouer ?

Le jeu, c'est faire semblant, cela implique que l'enfant se raconte des histoires en jouant.
Il y a toute une gradation dans l’élaboration du jeu qui correspond au développement du sujet, même s’il ne s’agit pas tout à fait de cela : le sujet se construit, il peut être à plusieurs phases de développement en même temps. Il est confronté à des situations pour lesquelles il n’est pas tout à fait armé, et il fait avec son niveau de construction. L’enfant peut jouer à des choses de plus petit, il peut y avoir une régression dans le jeu.
Lily est tout à fait capable de parler, pourtant, lorsque Lola s’approche avec son pistolet factice, elle hurle comme un bébé. Ici, il ne s’agit que d’un moment de régression, où elle est dans l’identification au bébé. Elle montre par ailleurs qu’elle est capable d’élaborer un jeu dans la durée, en y mettant de son imaginaire, ce qui nous rassure tout à fait sur sa santé.

Il y a une évolution dans la capacité à jouer, dans le niveau d’élaboration du jeu, en même temps que l’enfant grandit.


Quand commence le jeu ?

En premier lieu se produit l’imitation. Le nourrisson est capable d’imitation, et l’adulte qui entre en relation avec lui le fait par imitation : mimiques, gazouillis. L’adulte tente naturellement de reproduire les gestes et sonorités du bébé, et le bébé fait de même en retour : ce sont les prémices du langage articulé. L’important à retenir de cela, c’est que cela se produit en relation avec l’autre, dans ces jeux de chatouilles.

(Fabien Joly, APARTE, Dax) : C'est l'adulte qui initie au jeu, et très vite, le bébé relance.  Il y a un rythme, une répétition, et une surprise.
La petite bête qui monte est l'exemple classique : il y a une montée de la tension, de l'excitation, jusqu'à l'explosion.... et relâchement, puis demande de répétition.
Il y a dans le jeu une dimension de répétition, quelque chose d'immuable que l'on retrouve dans les règles du jeu plus tard. Il y a aussi du plaisir et de la surprise. Tout un dosage qui, s'il se déséquilibre, ne constitue plus du jeu. Chez l’adulte aussi la pulsion est en jeu, que dit-on en général au bébé en lui chatouillant le ventre ou en lui faisant des « papouilles » ? On lui dit : « je vais te manger ! » car un bébé, c’est « mignon à croquer. » L’enfant éclate de rire, alors qu'on lui dit quelque chose qui est la base de la peur de tout être humain : se faire manger. Mélanie Klein a démontré que le nourrisson est habité par ces peurs. Le jeu sert à les apprivoiser, l’enfant capte très vite que c’est du semblant.
Une des premières choses que le bébé met en jeu, c’est manger. Nous le voyons vers un an, peut-être un peu plus tard, où l’imitation se repère beaucoup plus facilement, au moment du repas, lorsqu’il peut avoir une cuiller dans les mains et qu’il la met à la bouche et dans l’assiette. Ces gestes se font par imitation en direct, pendant qu’on le nourrit.
Là encore, le jeu peut être initié par l’adulte, nous avons tous assisté à des scènes d’aviation où la cuiller arrive en piqué jusqu’à la bouche du bébé.

Le jeu est une découverte du monde

Apparaît assez vite l'objet, le hochet. Vers 3/4 mois, le bébé peut saisir le hochet, le mettre à la bouche. Au début c'est du hasard, puis il tente de reproduire. Il explore par la bouche les différentes textures, le goût de ce qu’il mange, le dur, le mou, le froid, le chaud, le lisse le rugueux, etc... Il est intéressant de commenter tout cela à l’enfant, cela l’aide à repérer ces différences qui correspondent aux sensations de son corps  : parties dures comme les os, le crâne, parties molles comme le ventre, le moelleux du coussin, le froid du drap, la douceur ou rugosité des habits etc.
Jouer avec la nourriture est une activité très importante car il expérimente le dedans et le dehors, la sensation de liquide et de chaleur ou de froid lorsqu’il tête, etc... toutes ces expériences sont nouvelles pour lui et constituent sa prise de connaissance du monde, notamment par l’incorporation.
Dès qu’il peut se déplacer, il explore l'environnement, met les doigts dans les trous, tire sur ce qui dépasse, soulève, puis ouvre, ferme, remplit, vide, encastre, démonte...

Entre 1 an et 18 mois, l’imitation se fait de manière différée : l’enfant joue avec une cuiller de dînette à mettre à la bouche ou donner à manger. C’est ainsi que vous vous retrouvez avec une cuiller devant le nez avec obligation d’ouvrir la bouche car l’enfant imite le geste qu’il a connu, en dehors du contexte du repas, et il le fait sur l’autre : vous ou l’autre bébé à sa portée. La poupée ne l’intéresse pas encore. Il reproduit une activité vécue, observée, en l’absence du contexte. C’est vraiment le début de la symbolisation dès lors qu’on a affaire à l’absence.

La dernière fois, à propos du langage, nous avons parlé du jeu du « fort-da »(2)  observé par Freud sur son petit-fils de 18 mois. Cet enfant, dit Freud, ne pleurait pas lorsque sa mère le quittait. Il avait pris l’habitude dérangeante « de lancer loin de lui, dans un coin de la chambre, sous le lit etc., tous les petits objets dont il se saisissait [...] en même temps il émettait avec une expression d’intérêt et de satisfaction un o-o-o-o sonore et prolongé » que les adultes interprétaient comme signifiant « fort » (loin). « Je remarquai finalement que c’était là un jeu et que l’enfant n’utilisait tous ses jouets que pour jouer avec eux à « fortsein » (au loin, parti). »
Un jour, Freud observe qu’en l'absence de sa mère, l'enfant répète inlassablement un jeu avec une bobine attachée à un fil : "... tout en maintenant le fil, il lançait la bobine avec beaucoup d'adresse par-dessus le bord de son lit entouré d'un rideau où elle disparaissait. Il prononçait alors un invariable o-o-o-o-, retirait la bobine du lit et la saluait cette fois par un joyeux "Da!" ("voilà!"). Tel était le jeu complet, comportant une disparition et une réapparition.
Freud se demande pourquoi l’enfant reproduit en jeu la scène désagréable du départ de sa mère.
Il supposait jusqu’alors que l’enfant était dominé par ce qu’il a appelé « le principe de plaisir » c'est à dire un peu la pensée magique, la fuite de la réalité.
Il découvre quelque chose d'un peu contraire au sens commun, qui j'espère ne vous choquera pas trop.
Pourquoi un enfant, après avoir subi un examen médical désagréable va le reproduire en jeu sur un autre enfant ? Pour faire subir à un autre ce qu’il a vécu de pénible.
Freud fait référence au goût des adultes pour les tragédies, nous dirions aujourd’hui les lectures ou séries tv policières, ou médicales comme « Urgences ».
À partir des névroses traumatiques et névroses de guerre, il découvre alors ce qu’il appelle un « au-delà du principe de plaisir » une compulsion de répétition chez l’être humain, qui le pousse à répéter les situations désagréables. Il fait ce constat : l’être humain ne veut pas toujours son bien.
Lacan nommera « jouissance » ce plaisir mêlé au déplaisir.
Revenons au jeu :
Freud décrit aussi que son petit-fils accueille le retour de sa mère en se faisant disparaître lui-même.
Lacan voit dans ce jeu du fort-da la naissance du langage et du symbole.
Le jeu est la réponse du sujet à ce que l'absence de la mère est venue créer : "un fossé autour de quoi il n'a plus qu'à faire le jeu du saut."
Ici même, lors de la soirée sur le langage, une dame nous racontait que son petit-fils jouait à cacher et retrouver son doudou en l’absence de ses parents.
J’observe Anaïs, âgée d’un an. Sa mère l’amène à la crèche mais a beaucoup de difficultés à se séparer d’elle, elle dit que son bébé pleure à la maison dès qu’une porte se ferme.
Ici, elle l’installe assise dans une toute petite piscine à balles avant de partir et de fermer la porte. Anaïs pleure au départ de sa mère, l’auxiliaire de puériculture lui parle, veut la prendre dans ses bras, mais elle s’énerve encore plus. Elle refuse d’être consolée et continue de pleurer jusqu’au moment où elle se saisit d’une balle, et va la déposer sur la ligne de la porte que l’auxiliaure de puériculture avait rouverte. Depuis ce moment, Anaïs s’est arrêtée de pleurer. Ce bébé d’un an, a su trouver une solution pour traiter le départ de sa mère et le rendre supportable. Anaïs est allée déposer une balle à l’endroit symbolique de la séparation : là où la porte se ferme. On voit déjà que le symbole prend le dessus sur le réel.
Ce n’est pas un jeu aussi élaboré que le fort-da car cela ne s’accompagnait pas de langage, mais l’enfant a pu passer par un objet : elle a effectué le jeu du saut dont parle Lacan en allant déposer la balle, objet que l’on peut lancer, faire partir et revenir, au bord du fossé, si l’on peut dire, où l’absence se matérialise par la ligne de la porte.

Voici un autre exemple chez un bébé un peu plus âgé : Willy, 17 mois, observé en crèche.
Willy est habituellement agressif, j'ai reçu sa mère en entretien à ce sujet. Lorsqu'il me regarde, je lui dis que nous avions parlé avec maman, l'autre jour. Il baisse alors la tête et les paupières.
Janie s'occupe des bébés assise par terre avec eux eux.
Inès, bébé, arrive dans les bras de sa maman, Willy est assis dans la bassine à balles, il lance des balles vers elles.
Inès pleure lorsque sa mère est partie, elle est dans les bras de Janie. Willy s'approche d'elle et tapote sur sa tête avec une balle. Je dis que c'est difficile de voir un bébé qui pleure, Janie rajoute "et sur moi en plus" soulevant la question de la rivalité. Willy se couche et se bouche les oreilles en regardant Inès.
Plus tard, Willy est avec Tom, un an, qui vient de renverser la bassine à balles. Willy, couché sur le dos, envoie les balles en l'air au-dessus de lui. Lorsque la balle revient vers lui il dit "mamaman." Il crie "ah!" en la lançant avec excitation, la regarde s’éloigner, parfois atterrir sur lui. Puis recommence.
"Ah!" semble décharger une excitation au moment où il lance la balle. Puis il se roule par terre, me regarde, me tend la balle. Je lui dis : "tu joues à lancer la balle, je te regarde."
Il s'assied, prend un cheval et joue à lui monter et baisser la tête : "tatatada." Il va vers Tom qui joue avec un cheval identique. Il le lui prend, Tom grimace et râle un peu. Willy a les deux chevaux dans les mains, les regarde, les fait se toucher et en rend un à Tom qu'il pousse pour se mettre à sa place sur la bassine renversée.
Willy est en train de développer sa capacité à jouer seul en présence de l'adulte. C’est la première fois que je le vois jouer ainsi. Il se soutient de mon regard et de mes commentaires.
Comme dans l'exemple du fort-da, il accompagne de sonorités ses jeux de va-et-vient, de manière assez explicite : "mamaman" au retour de la balle vers lui. Notons que la jubilation se produit quand il fait s'éloigner la balle. Le lancer de balle traite la séparation : l'arrivée du bébé puis les pleurs sont accompagnés de lancers ou taper avec la balle.
Willy est à la fois soucieux de garder sa place, en rivalité avec les autres, et de supporter la séparation. Ce qu'il met en jeu avec le cheval en imitant Tom lui permet de ne pas l'agresser. Tom lui avait pris sa place en renversant la bassine dans laquelle il était avant, et en se mettant dessus. Finalement, Willy reprend cette place en lui rendant le cheval.
Nous voyons déjà tout ce qui compose un jeu : l'absence, l'imitation, la répétition accompagnée de sonorités, la pulsion qui se traduit par cette répétition et l'alternance d'une chose et son contraire (partir, revenir, monter, baisser la tête, ouvrir, fermer les yeux, prendre, donner, etc.
Les bébés d’un an font beaucoup cela : ils vous tendent l’objet, vous le prenez, il le reprennent.
Plus tard, Willy jouera à se cacher sous un foulard et se faire réapparaître. Il n’en est pas encore à faire disparaître l’objet de son regard, il se positionne comme celui qui disparaît.

Au fur et à mesure que l’enfant grandit, le jeu est de plus en plus élaboré, et l’enfant jouera davantage avec des objets qu’avec son corps.

Le jeu est apprentissage

Pour l’enfant, même grand, le jeu n’est pas une activité secondaire. Nous voyons bien que l’activité d’imitation de l’enfant est sa seule voie pour grandir, pour apprendre.  Nous le voyons chez les animaux : les chats, ou les lionceaux : Mordillements, coups de pattes, fuite en courant, leurs jeux ne sont que des activités de chasse mais qui ne sont pas réalisées jusqu’au bout, et qu’ils mettront en œuvre plus tard pour subvenir à leurs besoins.
Ce que nous appelons le jeu n’est que l’apprentissage de la vie. Il est dommage d’opposer trop tôt jeu et travail, jeu et apprentissage : l’enfant apprend en jouant, développe sa pensée. Peut-être faut-il faire la différence entre jeu et amusement. À partir d’un certain âge, effectivement, l’amusement peut devenir une récompense, un réconfort après un temps de travail. Le jeu peut aussi être utilisé pour enseigner à l’enfant. Opposer trop tôt jeu et travail peut empêcher l’enfant de désirer apprendre ou de mettre en œuvre ses capacités intellectuelles.
La base du développement, c’est le jeu.


Les jeux éducatifs et jeux de société ont aussi leur place dans la vie de l’enfant. Comme leur nom l’indique, ils sont plutôt du côté de l’apprentissage, de l’éducation à la vie en société par le respect des règles. C’est aussi un travail sur la frustration par la confrontation à l’attente de son tour, accepter de perdre etc... Ils sont aussi l’occasion de partager un bon moment avec les enfants.

Jouer : où est la limite ?

Jouer, pour le bébé, commence par une mise en jeu du corps en relation à l'autre, et une mise en jeu des pulsions. L 'adulte prend aussi du plaisir à ces jeux corporels et chatouilles, c'est un partage. Le plaisir de l'adulte ne doit pas être ce qui domine l'activité. Parfois, le rire  du bébé est moins franc et peut vite se transformer en pleurs : il se trouve à la frontière entre le jeu et la peur. Ce qui amuse l’adulte n’amuse pas forcément l’enfant. Vous pouvez toujours avoir en tête la petite question : est-ce que le bébé, l'enfant, en a envie, est-ce que ça lui fait du bien ou est-ce que je fais ça juste pour mon propre plaisir?
Par ailleurs, plus le corps s’agite, plus les pulsions sont à l’œuvre L’enfant ne se défoule pas en s’excitant, au contraire, il se laisse dominer par ses pulsions et cela peut devenir angoissant. L’agitation corporelle peut être signe d’angoisse si l’enfant n’arrive pas à jouer.
Jouer au repas pour faire manger l’enfant, ne marche qu’un temps. Manger ne peut jamais être un jeu en soi. Faire jouer l’enfant pour qu’il oublie qu’il mange n’est pas très efficace et risque d’entretenir la confusion entre jeu et réalité.
Ce qui n'est pas confortable pour les parents c'est de supporter cette répétition inlassable du bébé. J'entends souvent dire "il ne m'écoute pas" au sujet de bébé d'un an, 18 mois, ou "elle se met en danger."
Oui, l'enfant vous écoute, mais il a besoin de reproduire son expérience de nombreuses de fois pour l'intégrer. C'est là que le parent doit faire preuve de patience et d'ingéniosité pour dire autre chose que "non" à l'enfant dès qu'il touche quelque chose.
D'abord, essayer d'adapter un minimum l'environnement familial à l'activité d'un bébé : "arrondir les angles » au propre comme au figuré : la petite table du salon peut avoir les coins rembourrés le temps que bébé grandisse un peu, la télécommande peut être hors de portée le temps qu'il assimile quelques interdits, etc... Chacun peut trouver le juste milieu, le compromis entre pas trop d'interdits pour pouvoir laisser faire la découverte, et des limites fermes et solides qui préviennent les dangers. Un bébé ne se met pas en danger, il est en danger du fait de son immaturité. Il n'en a pas conscience. Si ses tentatives sont accueillies d'un "oui, ça t'intéresse, ou tu as envie de toucher ou de faire ça... l’enfant entend mieux le "non, tu ne peux pas, ce n'est pas possible, c'est dangereux, c'est interdit, ce n'est pas pour toi..."

Il est important de différencier les objets des parents des jouets des enfants. Parfois, il fait savoir être égoïste et ne pas tout laisser à l'enfant. Cela l'aide à faire la part des choses entre jeu et réalité, jeu et danger. L'enfant n'a pas à fouiller dans le sac de maman, même s'il y a son doudou ou sa tétine dedans. Lui dire que quelque chose n'est pas à lui, et qu'il n'a pas à y toucher peut l'aider à se constituer comme sujet, et il sera très content que l'on respecte aussi ses affaires.

C’est la même chose pour les jeux de rôle. Une maman me confiait sa difficulté à avoir de l’autorité sur sa fille de 4 ans qui par ailleurs l’entraînait dans des jeux où elle inversait les rôles : elle jouait la maman et demandait à sa mère de jouer l’enfant. Cette dame avait bien repéré que sa fille entretenait une confusion des rôles qui débordait sur la réalité, elle a fini par décider de ne plus jouer ainsi avec elle. L’enfant n’a pas besoin que l’adulte se mette au même niveau que lui pour jouer. Si l’adulte entre totalement dans cette aire transitionnelle qu’est le jeu, il n’y a plus de repère par rapport à la réalité.
Je définirai la place de l’adulte comme un élément de la réalité, témoin bienveillant du jeu de l’enfant. Lily et Willy peuvent, dès le plus jeune âge, se contenter d’un peu d’attention pour jouer, sans que l’on participe à leur jeu. La bienveillance est du côté de la limite que l’adulte va poser si le jeu dégénère, notamment dans les jeux à plusieurs enfants. Ils ne sont pas tendres entre eux et ne savent pas s’arrêter d’eux-mêmes, encore moins lorsqu’il y a des phénomènes de groupe.

Concernant les enfants plus âgés, je ferai référence au livre d’Amélie Nothomb « Le sabotage amoureux. »
Elle raconte la vie d'une fillette au milieu d'une bande d'enfants de 7 à 10 ans, dans un ghetto à Pékin : les logements des étrangers vivant en Chine. Les enfants y étaient livrés à eux-mêmes et s'adonnaient à une guerre sans merci entre deux bandes :
"… j'ai compris une vérité immense : sur terre, personne n'est indispensable, sauf l'ennemi. Sans l'ennemi, l'être humain est une pauvre chose."(3)
Je vous passe les détails croustillants de leurs inventions écœurantes, voici ce qu'en dit l'auteure :"L'ignominie de cette manœuvre nous faisait éructer d'extase. Nous nous disions que nous étions immondes. C'était grandiose."

Amélie Nothomb décrit l'univers des enfants comme un monde parallèle à celui des adultes. Elle nous plonge dans l'imaginaire de l'enfant où la liberté s'oppose au ghetto : " Oubliés des autorités chinoises et des autorités parentales, les enfants de San Li Tun étaient les seuls individus de toute la Chine populaire. Ils en avaient l'ivresse, l'héroïsme et la méchanceté sacrée."


Si vous lisez « Le sabotage amoureux », vous n'aurez plus de doute sur les pulsions sadiques et masochistes qui animent les enfants. Adultes, nous avons refoulé ces pulsions, et nous nous représentons les enfants comme des êtres innocents. Ils le sont. Ils sont innocents au sens où ils ignorent la culpabilité. Ce sentiment de culpabilité qui freine les pulsions du sujet s'installe petit à petit. Dans cette histoire, plusieurs facteurs favorisent l'expression des pulsions : l'absence des adultes, le phénomène de bande dans un milieu restreint qu'est le ghetto, et peut-être une réaction à la répression autour du ghetto.
Je ne sais pas si de nos jours on trouverait les mêmes circonstances, si ce n’est à travers les jeux vidéo : il s’agit dans la plupart des cas de stratégies, voire de combats, bien souvent hors présence des parents. Nous en reparlerons.

Il s’agit de trouver un juste milieu entre laisser faire et interdire.
Selon Freud(4), l'enfant ignore les interdits sociaux et les tabous sexuels, tant qu’il ignore le sentiment de culpabilité.
Il met en jeu ce à quoi il se trouve confronté : ses pulsions, les choses de la vie et les questions qui se posent à lui comme la mort, la différence des sexes, comment on fait les bébés, etc.
Si certains jeux de votre enfant vous dérangent ou vous mettent mal à l’aise, parlez-en autour de vous pour tenter de discerner ce qui est de votre propre malaise de ce qui est vraiment malsain. L’interdiction dans tous les cas ne peut qu’amener l’enfant à avoir encore plus envie de jouer.

Il y a une différence entre jeu et activité partagée : les ustensiles de cuisine, ou les outils peuvent être utilisés dans une activité commune avec les parents, mais ce ne sont pas des jouets. La particularité du jeu est la dimension de liberté : avec la dînette, avec son doudou ou sa poupée, l'enfant fait ce qu'il veut, avec le couteau de cuisine, ou le marteau, c'est autre chose.
Idem pour internet et les jeux vidéo : il est évident que cette fenêtre sur le monde ne peut être ouverte à l'enfant sans accompagnement et sans limite, quelque soit son âge. Il ne viendrait à personne l'idée de laisser son enfant au bord d'un précipice ou dans la jungle sans l’accompagner. Le web, c’est une jungle.

Une règle devrait être de mise : pas d'écran dans la chambre de l'enfant. Pas d'écran ça veut dire pas de télé, d'ordinateur, de jeu vidéo, ni de portable... parce que c’est un accès illimité et sans contrôle. Il ne vous viendrait pas à l’idée de fournir à votre enfant alcool, tabac ou drogue... les écrans, sont reconnus comme des drogues. Certains ados passent leurs soirées d’un écran à l’autre de 18 h à minuit.
Dans ce cas, ce n'est plus du jeu. C'est du branchement sur l'image ou sur une activité répétitive pour faire face à la solitude ou à l'angoisse.  Ce branchement fait obstacle au symbolique et à la créativité, qui, ne l’oublions pas, est une dimension essentielle du jeu. Le jeu est création.

Un petit mot sur les punitions : Pour punir, on cherche à priver l’enfant d’un certain plaisir, ce qui n’est pas une mauvaise idée, mais il faut repérer de quel plaisir le priver.
Le jeu comme le dessert ou le sport sont des choses nécessaires au développement de l’enfant et on ne pourra jamais complètement les en priver.
Ce dont l’enfant doit être privé, c’est de ce que Lacan appelle le « plus-de-jouir » c’est le « en plus » du plaisir qui peut devenir une jouissance malsaine. Les parents l’on très bien repéré lorsqu’ils privent les enfants de tout ce qui est écran : télé, ordinateur, consoles, etc...
Mais cela n’est pas toujours facile car l’enfant a parfois déjà une impossibilité à supporter cette frustration. Il s’agit de repérer où s’arrête le jeu et où commence la dépendance.

Du jeu à l’addiction

Addiction est un mot anglais, c'est quelque chose dont on ne peut se passer.
C'est lié à la jouissance de la répétition.
J'insiste sur la répétition car la répétition, c'est justement ce qui insiste. Nous l’avons vu, chez le bébé, c'est une nécessité de répéter les expériences, puis dans le jeu symbolique du petit enfant, il y a une répétition des expériences vécues, en particulier des expériences désagréables. C'est là que cela se complique. Je vais aborder là une notion délicate, déplaisante, et je m’en excuse par avance.
Au départ, Freud oppose principe de plaisir et principe de réalité.
Le principe de plaisir vise à apaiser toute tension.
C'est une expérience de contrôle magique, d'omnipotence du bébé.

Pour Lacan, les pulsions sont inéluctables. Il y a une dominance du masochisme.
Le point commun entre Freud et Lacan, c'est que chez le sujet humain, le rapport au plaisir est discordant. On peut trouver de la jouissance dans la douleur, dans le malheur et la mort. Le règne du principe de plaisir est précaire et débouche toujours sur un "au-delà" : on cherche la jouissance, la satisfaction sur le mode du déplaisir.

Cet au-delà du principe de plaisir c'est la fonction de répétition. Freud articule la répétition à l'instinct de mort. Lacan la définit en tant que jouissance comme « ce qui va contre la vie »(5). La jouissance est plaisir et déplaisir. C'est avoir l'usage, bon ou mauvais, de quelque chose.

"La répétition n'est pas seulement fonction des cycles que comporte la vie, cycles de besoins et de satisfaction, mais de quelque chose d'autre, d'un cycle qui emporte la disparition de cette vie comme telle, est qui est le retour à l'inanimé. » Nous en verrons un exemple en suivant à propos de jeux vidéo.
La répétition attire le sujet comme un aimant. Par exemple, « Le Boléro » de Ravel, est une des œuvres musicales les plus jouées au monde. Elle tiendrait son succès de cette répétition durant 17 mn « d’un tempo unique au style plaintif et monotone »(6) avec un effondrement final. Ravel lui trouve « une insistance » particulière. Jean Echenoz(7) qualifie cette œuvre de « suicide » et Marcel Marnat(8) de « triomphe généralisé des forces du mal. »
Nous retrouvons cela avec la musique techno : Un jeune homme décrivait le plaisir qu'il prenait à l’écouter par cette répétition et montée de tension. Cela rappelle ce qui se passe pour le bébé. On voit le laisser aller total à la jouissance de la répétition dans les rave party qui justement ont beaucoup de mal à se laisser encadrer.
Il est donc important, dans tout jeu d'enfant de repérer si la jouissance et la répétition ne prennent pas trop le dessus, auquel cas ce n'est plus du jeu. Nous le voyons chez les enfants autistes qui répètent inlassablement des gestes ou des activités que l'on appelle stéréotypées.

Je vous donne un exemple d'addiction qui va nous plonger dans l’univers des jeux vidéo. Les jeunes  appellent les « no life » (sans vie) les personnes accros aux jeux vidéo. Au laboratoire du CIEN de Parentis, nous avions travaillé la situation d’Éléonore, 10 ans, que je recevais en thérapie :

Depuis la salle d'attente jusqu'à mon bureau, Éléonore arrive, les yeux et les pouces rivés sur son écran de DS. Elle sourit et entre, sans un mot, sans un regard vers moi.
Elle vient me rencontrer depuis quelques mois car elle est continuellement branchée sur son ordinateur, parfois même la nuit, notamment sur des jeux en réseau où elle a créé un groupe de quarante membres. Elle refuse toute autre activité, sortie ou voyage.
Lors des premières séances, elle avait évoqué les séries qu'elle voulait compléter : mangas, objets et de figurines, qu’elle apportait parfois.
Ce jour-là, donc, elle arrive branchée sur son jeu et je m'y intéresse en espérant lui faire lâcher prise. Plusieurs tentatives sont infructueuses. Je déclare alors la séance terminée. "Attends, je sauvegarde", dit-elle tout en continuant. En réponse, je lui assure sauvegarder le travail qu'elle fait ici. Éléonore râle, proteste, pose son jeu, mais je maintiens, avec douceur et fermeté, cet arrêt de la séance marquant un arrêt à la jouissance. Notons au passage que l’efficacité d’une séance ne tient pas à sa longueur, mais à son moment d’arrêt. Celle-ci aura duré 3 mn, elle a été le ressort de la cure.
La semaine suivante, elle est accompagnée de sa mère qui m'annonce qu'Éléonore veut "arrêter."
“ Oui, la semaine dernière je t'ai arrêtée” lui dis-je.
La fillette dit alors qu'elle a arrêté le jeu en réseau « parce qu'ils se servaient de moi » signant son refus de se faire objet de l'autre. Éléonore accepte de revenir et pose sa demande : "Comment on fait pour oublier ce qui fait peur ?"
Elle évoque une poupée qui s'anime et qui tue. Elle la dessine.
Le recours à l'inanimé du jeu vidéo la protégeait de l'angoisse de la poupée qui s'anime.
Au cours des deux années suivantes, Éléonore s'est mise à reproduire des dessins de mangas, puis elle en a inventé. Elle a ensuite créé des parodies et inventé des fictions sur un blog. Éléonore veut être animateur 3D, puis scénariste.Elle dit aussi qu'elle s'ennuie, se confronte au manque en renonçant à compléter ses séries.
Éléonore vient avec un nouvel objet nommé "cahier de dessin" où elle reproduit des images de personnages prélevées sur internet, signées de leur auteur-scénariste.
Après avoir renoncé à aller à la convention des jeux vidéo rencontrer "en vrai" un ami d'internet, elle m'a annoncé qu'elle a demandé à s'inscrire à des cours de dessin, "collectifs", précise-t-elle.
Éléonore a été confrontée à un "non" à la jouissance, sans qu'il soit question de supprimer la DS. Elle est passée du branchement sur l'image à la création, de l'animation terrifiante d'un objet mortel à l'animation de personnages.
Le manque a ouvert à un Autre : l'auteur des dessins et fictions qui devient support d'identification.

Les jeux vidéo sont à encadrer tout particulièrement. Les jeux en réseau sont sans limite, ils ne s’arrêtent pas lorsque l’ordinateur est éteint.
Tous les enfants que je connais me disent qu’ils jouent à des jeux pour plus âgés. Cela ne leur fait pas peur. Mais qu’en est-il du simple respect des règles ? Le jeu vidéo appelle à la transgression et sollicite la pulsion de mort. Il ne sollicite pas la création mais la répétition. Il nous accoutume à la violence. Un article du « Monde Diplomatique(9) montrait comment les jeux vidéo étaient un bon entrainement à la vraie guerre.
Là plus qu’ailleurs, il s’agit de s’intéresser à ce à quoi joue l’enfant, et d’en parler avec lui.



Pour conclure

Vous l’aurez compris, l’enfant n’a pas besoin de jouets sophistiqués ni trop nombreux pour s’épanouir. Lily n’aurait que faire d’une poupée qui parle ou qui fait pipi.
Nous pouvons chacun  nous demander combien d’heures par jour passons-nous sur un écran ? Et notre enfant ?
L’ennui et l’insatisfaction rendent créatif pour supporter l’absence et la solitude, permettent d’inventer, de fabriquer des jeux.
Le jeu symbolique traite l’absence, le manque, le rapport au langage, la pulsion, c’est à dire le sexuel, l’agressivité, le masochisme, la mort, bref le réel de la vie.

Voici un dernier extrait du « Sabotage amoureux » où l’enfant chevauchait son vélo dont elle disait que c'était un cheval :
"J'appelle cheval cet endroit unique où il est possible de perdre tout ancrage, toute pensée, toute conscience, toute idée du lendemain, pour ne plus être qu'un élan, pour n'être que ce qui déferle."
Voilà une très belle définition du jeu et de la pulsion.

 
 
(1) Winnicott, D.W. « Jeu et réalité » Éditions Gallimard, 1975
(2) FREUD S. "Au-delà du principe de plaisir" Essais de psychanalyse. Payot, 1987 pp 41_115
(3) Nothomb Amélie, "Le sabotage amoureux" Albin Michel, 1993
(4) Freud, Sigmund, « Trois essais sur la théorie sexuelle » œuvres Complètes, puf, Paris, 2006
(5) Lacan, Séminaire XVII "L'envers de la psychanalyse" p. 50
(6) wikipédia
(7) Echenoz, Jean, « Ravel » Éditions de Minuit, Paris, 2006
(8) wikipédia
(9) Pilet, Stéphane « Le jeu vidéo comme arme de propagande » Le Monde Diplomatique, septembre 2003

Print Friendly and PDF